« Eh ! bonjour donc : votre santé, ma sœur ?
(Vous êtes aussi porte écaille)
Quelle nouvelle? Un maudit persifleur
Prétend que, j'en souris, votre sénat travaille
A reculons....
Voyez la médisance!
Autant vaudrait dire , avec impudence,
A la taupe : Toujours vous marchez à tâtons...
Fi de la plaisanterie!
Je vous aime, ma sœur, croyez-moi, je vous prie.
Mais est-il vrai que vos grands potentats
Gouvernent si mal vos Etats?
— Ecoutez un instant, répond dame écrevisse,
Et vous rendrez justice
A nos amés législateurs:
Leurs ennemis sont des menteurs.
Dans nos étangs, dans nos rivières
L'on jase, mais à tort, à propos des barrières
Que le gouvernement nous met de ci de là :
Les bons esprits n'en sont pas là.
Qui ne reconnaîtrait les bienfaits, les services
Que nous avons obtenus?
Du moins on les promet, si quelques sacrifices
En soldats, en argent, et d'autres frais menus
Enoncés au budget, paraphés aux registres,
Sont accordés à nos ministres.
Ah! pour avoir la paix, peut-on payer trop cher!
— La paix ! mais sur terre et sur mer,
J'ai compté cent cohortes
Qui portent vos couleurs:
Et vos sergents à nos portes
Exigent le tribut pour vos cent dictateurs.
Ai-je dit vrai? — C'est chose nécessaire.
L'on nous a demandé notre dernier écu
Pour repousser le pouvoir arbitraire
Ma sœur, ce pouvoir est vaincu.
—Vaincu! J'en suis fort aise
Mais qu'il vous plaise
De me dire, en un mot, si votre liberté,
Trésor qui vous a tant coûté,
N'est point un triomphe illusoire.
Si j'ai bonne mémoire,
Les juges, les bourreaux, les geôliers et leurs gens,
Vous m'entendez, espions et scrgens,
N'ont jamais fait plus heureuse curée,
Dans aucune contrée,
Que celle dont vous vient votre nouvelle loi.
Si vous niez, je vous croi.
Mais je n'ai pas tout dit : je ne sais quelle gêne
Tourmente votre peuple, au désordre l'entraîne ;
Car j'apprends tous les j ours quelques nouveaux complots ;
(Je croirais, pour ma part, que ce sont des fagots,
Œuvre de la politique) ;
Mais la chose publique
En souffre et marche à reculons.
Tous vos progrès sont rétrogrades...
Vos succès des pasquinades
Pour le reste motus, car nous nous entendons.
Mieux vaut une marche lente :
Vous nagez vivement, je vais à petits pas,
Mais je ne recule pas.

Tortue avait raison, et son discours m'enchante :
Je connais des savants qui parleraient moins bien.
Courir, pour reculer, ne valut jamais rien.

Livre I, fable 7




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