Le Rat d'eau et la Belette Fleury Donzel (1778 - 1852)

Museau pointu, demoiselle Belette
Avait son trou sur le bord d'un ruisseau.
Où vivait aussi le rat-d'eau.
La Demoiselle était fluette,
Et le Rat gras et rebondi.
Mais si le dos de la voisine
N'était pas si bien arrondi,
C'est qu'elle n'avait pas aussi bonne cuisine.
Dès l'aurore courant les prés et les sillons,
Elle attrapait quelques maigres grillons ;
Tandis que le rat-d'eau, sans prendre tant de peine,
Comme un Seigneur dans son domaine,
Péchait écrevisse, goujon
Et maint autre excellent poisson.
Un jour qu'il digérait, assis sur une roche,
La belette le voit, humblement s'en approche,
Et lui tient ce discours : Ne vous dérangez point :
Je ne viens point troubler une si belle vie.
Je l'avouerai pourtant ; avec un peu d'envie,
Je contemple votre embonpoint :
Et si jamais les dieux me font, de la misère,
Passer à l'abondance ; en faisant bonne chère,
Je n'aurai plus à former qu'un désir ;
Et c'est celui de parvenir
Au point où je vous vois. Hélas ! de leur colère,
Je suis un exemple complet.
Ah ! si voisin rat-d'eau voulait,
Je devrais à lui seul un insigne bienfait.
Il me semble, et j'ai bonne vue,
Que cette eau, de poisson abondamment pourvue,
Aux besoins de tous deux aisément fournirait.
Je vous entends, dit le compère,
Mais il faudrait savoir nager.
— Je nage quelque peu. — Ce n'est tout, et plonger.
— Une leçon fera l'affaire.
— Je vais vous la donner. Voyez-vous ce Goujon ?
Allons ! partez. La tête la première,
Sans hésiter, sur le poisson,
La Belette se précipite :
Le Goujon fuit, et, du museau,
Dame Belette, au fond de l'eau,
S'en va donner. Elle en fut quitte
Pour la peur ; mais sans le rat-d'eau
C'en était fait, elle allait boire,
Après cette onde, une eau plus noire.
Renonçant désormais à manger des goujons,
Elle retourne à ses grillons.

Je ne saurais trop le redire :
Vivons content de notre sort.
Tel qui veut en changer, bien souvent ne retire
Que honte et mal de son effort.

Livre II, fable 1




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