Les deux Lièvres Fleury Donzel (1778 - 1852)

Deux lièvres, vassaux d'un seigneur,
Depuis longtemps n'avaient point de relâche.
Dès l'aurore un maudit piqueur
N'avait à remplir d'autre tâche
Que d'appuyer et Miraut et Brifaut
Qui tombaient toujours en défaut.
Les lièvres ayant soin; en partant de leur gîte,
D'entremêler leurs pas et de croiser leur fuite,
Le couple hurleur s'égarait,
Et le piqueur, forcé d'ajourner la partie,
Emmenait la meute et jurait.
Ami, quelle est notre folie,
Dit l'un des animaux légers,
Si nous pensons, de ces dangers
Nous tirer tous les jours de même!
Sur un si faible stratagème
Que le temps va bientôt user,
Gardons-noùsde nous reposer ;
Ou je crains que le jour n'approche
Où nous irons tourner la broche.
Crois-moi, sortons de ce pays.
Fuyons nos cruels ennemis.
Cet avis me parait fort sage,
Dit l'autre, et, sans tarder, mettons-nous en voyage :
Partons ! Les lièvres, comme on sait,
Ont bien vite fait leur paquet ;
11 ne leur fallait pas une heure
Pour changer d'air et de demeure.
En cheminant, ils discouraient
Sur le repos qu'ils goûteraient ;
Sur les doux repas qu'ils feraient
De thym, de trèfle et d'herbe tendre,
Lorsqu'au tournant de certain bois,
Maître renard faillit à: les surprendre.
Ils furent heureux cette fois
De bien courir : leurs jambes les sauvèrent.
Plus loin, Glouton qu'ils rencontrèrent '
Leur fit de mortelles frayeurs.
Ailleurs, c'étaient les chiens, les pièges, les chasseurs.
Tout, dans cette terre voisine,
Semblait conspirer leur ruine.
Ils s'en tirèrent par bonheur ;
Et, reconnaissant leur erreur,
Dans le canton qui les vit naître,
Ils revinrent tous deux, le maître
Vint les chasser chaque matin,
Et comme à l'ordinaire y perdit son latin ;
Et le piqueur eut beau les tenir en haleine,
Ils ne songèrent plus à quitter ce domaine.
Les deux amis avaient appris
Qu'on est bien fort dans son pays.

Livre I, fable 12




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