Au temps jadis, les animaux
Tinrent une grande assemblée :
Leur république était troublée
Par de nombreux abus, source de bien des maux ;
La paix était entre eux sans cesse violée ;
Partout les faibles, les nigauds,
Par les forts ou les fins étaient mangés d'emblée.
Des désordres publics la mesure comblée
Voulait aux vieux abus des remèdes nouveaux.
Chaque espèce fut appelée
À la réunion qu'on nomma LES GRANDS JOURS.
Si de ce parlement nous avions les discours,
Nous aurions tout l'esprit des bêtes.
Les comités étaient formés de fortes têtes,
Et les orateurs étaient courts.
On nous a conservé l'extrait de la séance
Où les Lièvres, devant l'honorable assistance,
Vinrent haranguer à leur tour.
« Messieurs, dit l'orateur, votre esprit de justice
A tous vos commettants doit se montrer propice ;
L'égalité sacrée est à l'ordre du jour ;
Il faut la fixer sans retour :
Proclamez donc par un grand acte,
Pour sceau d'une éternelle paix,
Entre les bêtes désormais
La parité la plus exacte !
Plus de distinction de pouvairs, ni de rangs !
Au moyen de ce nouveau pacte,
Tous les grands sont petits, tous les petits sont grands :
Enfin chacun de vous doit en valoir un autre.
O mes frères, alors, quel bonheur est le vôtre !
Criez tous : A bas les tyrans !
Sitôt qu'on n'en veut plus, les tyrans cessent d'être.
Prononcez-vous, Messieurs. L'âge d'or est certain.
Ne reconnaissant plus de maître,
Les faibles des plus forts ne sont plus le butin ;
Le Lièvre n'a plus peur à l'aspect du mâtin ;
A côté du milan le pigeon peut paraître ;
Des étangs le brochet laisse en paix le fretin ;
Dans le même vallon champêtre,
« Invités au même festin,
Le tigre et le chevreuil côte à côte vont paître.
Peut-on, sans attendrissement,
Se figurer, Messieurs, le spectacle charmant
De cette union fraternelle,
Qui fait à la noise éternelle
Succéder les douceurs du raccommodement ?
Regardez la souris jouant avec la chatte ;
Les poules au renard osant se confier ;
Et, ce qui plus encor doit vous édifier,
Voyez loups et brebis qui se donnent la patte !
C'est peu qu'à ces tableaux votre alégresse éclate ;
Vous devez les réaliser.
Messieurs, en ce grand jour, consommez votre ouvrage,
Et décrétez enfin, par un commun suffrage,
Ce que je viens de proposer. »
Au discours dont ces vers sont une faible ébauche,
Une longue acclamation
Partit du côté droit, comme du côté gauche.
Les tribunes étaient en jubilation :
Vive, vive à jamais le député des Lièvres !
Le miel découle de ses lèvres ;
Son discours va finir la révolution. »
Les lapins trépignaient ; mais quand la turbulence
Laissa rétablir le silence,
Pour répondre on donna la parole au lion.
J'admire, dit-il, l'éloquence
Des Lièvres sages et prudents ;
Ils veulent être indépendants ;
Et les lapins, en conséquence,
Au même droit sont prétendants
Mais est-ce le tout que la langue ?
J'observe, moi, qu'à leur harangue
Il manque ces deux points, des ongles et des dents. »
Ces mots ne sont point apocryphes :
Lisez l'histoire ! On veut par-tout de bonnes lois,
Oui ! Mais on ne maintient l'égalité des droits
Qu'avec la mâchoire et les griffes.