Les deux Lièvres Jean-Jacques Boisard (1744 - 1833)

Dans un bois, à couvert sous des branches épaisses,
Deux Lièvres à qui mieux se contaient leurs prouesses.
L'un commence : Un beau soir, j'étais bien éveillé,
Je ne fais trop pourquoi ; grâce au ciel, en son gîte
Lièvre aussi bien que moi n'a jamais sommeillé.
Je vois roder Briffaut, je m'atterre au plus vite.
Le galant écartait avec son long museau
Le branchage touffu qui protégeait ma peau ;
Je ne bougeais non plus qu'un terme :
Il faisait les yeux doux, le traitre ! tout à coup
Je me jette sur lui, puis tout net par son cou
Je vous étrangle mon Chien ferme...
Nous étions tête à tête et comme on fait assez,
Pour garder un secret vive les trépassés.
On ignore l'auteur de ce coup téméraire ;
On ne m'a point inquiété.
L'aventure, dit l'autre, est assez ordinaire ;
Celle qui m'arriva sur la fin de l'Eté,
Est plus rare, sans vanité.
Je fourrageais à l'ordinaire
Dans la plaine voisine avec sécurité :
Je me vois attaqué par une meute entière :
L'avantage du nombre était de son côté ;
Il fallut bien ruser pour me tirer d'affaire.
Pour tâcher de la désunir,
Je fuis et tous mes Chiens après moi de courir
Plus ou moins lentement : des bassets en arrière
En criaillant battaient, rebattaient les guérets ;
Deux ou trois Lévriers me conduisaient de vue.
Je tourne contre un d'eux qui me serrait de près ;
Il ne peut soutenir mon attaque imprévue,
Il rebrousse chemin ; un autre en fait autant,
Ainsi de suite ; en un instant
Au quartier général ils portent le désordre ;
Tous les Chiens éperdus n'écoutèrent plus d'ordre :
Gens et Chiens se croyant suivis de cent Lions,
Regagnent le logis comme autant de Moutons.
En chemin de crier main forte ;
Arrivés, derrière eux de refermer la porte.
Le Héros commençait un siège régulier ;
Il donnait un assaut ; on demandait quartier ;
Une feuille en tombant démonta son courage,
Et sauva le château tout au moins du pillage.
Nos braves confondus
Se jettent ventre à terre :
Jupiter, dirent-ils, détourne ton tonnerre,
Pardon, Ô Jupiter, nous ne mentirons plus.

Livre II, fable 12




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