Le Mort, le Mourant et la Religion Frédéric Jacquier (1799 - 18?)

Un mourant se désespérait,
Se débattait
Et se crispait de belle sorte
En voyant la Mort à sa porte ;
Cet homme était un grand pécheur
Ayant la conscience et l'âme bourrelées ;
Ce n'était pas un brigand, un voleur,
C'était un ancien procureur.
Il avait exercé près de quarante années !...
La Mort, qui ricanait en l'entendant crier,
Met son pied droit sur un vieux sablier ;
Puis, regardant le moribond en face.
Elle tire la langue et lui fait la grimace,
En lui disant : « Aux temps qui ne sont plus,
Nous avions, m'a-t-on dit, les doigts un peu crochus,
Et nous avons fait nos fredaines,
Au lieu de faire des neuvaines.
Tu me parais très marri de partir,
Il te faut pourtant déguerpir ;
Le proverbe le dit : il faut en cette vie
Avoir de la philosophie ;
Il faut se faire une raison.
Je veux te régaler d'un morceau de musique.
Tu l'aimes avec passion ;
C'est un morceau nouveau, riche, admirable, unique,
C'est un morceau de ma façon. »
Sous sa cape pendait un mauvais violon ;
Elle l'accorde avec mainte contorsion, ;
Et soudain l'horrible camarde,
L'abominable goguenarde
Se met à lui racler mille sons discordants,
Et mille notes sans pareilles
A faire fendre les oreilles.
Le moribond grinçait des dents ;
Sa poitrine était haletante.
Soudain à son chevet vint la Religion
En robe blanche et pleine d'onction,
Pieuse, affable et consolante.
La Mort, qui ne l'attendait pas,
S'inclina par respect, recula de trois pas.
« Mon fils, il ne faut point que la Mort t'épouvante ;
Ne crains-rien ; penche-toi
Vers moi.
En Dieu, cher fils, place ta confiance ;
Sa miséricorde est immense.... »
Le moribond se jeta dans ses bras,
Et quand la Mort, revenant sur ses pas,
Voulut s'approcher de sa proie,
Goguenarde toujours et semblant épier
Les derniers grains de sable épars au sablier,
Calme, le moribond l'attendait avec joie.





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