La Tulipe et la Rose Frédéric Rouveroy (1771 - 1850)

Orgueilleuse de ses couleurs,
Une tulipe un jour insultait à la rose :
On te dit la reine des fleurs,
Toi, que le matin voit éclose,
Et dont l'empire est à peine d'un jour !
Admire-moi, je suis presque immortelle,
J'ai plus d'éclat, je suis plus belle.
Ici mille amans tour à tour
Viennent me rendre un juste hommage.
A l'abri du soleil, des vents et de l'orage,
Sous ma tente avec majesté
Je les reçois, et ma bonté,
A revenir les encourage.
Point d'épine qui les outrage,
Et seule sur ma tige... Oh ! bien seule, ma sœur,
Dit la modeste rose, et c'est là ton partage.
Je ne l'envirai point, qu'il fasse ton bonheur !
Il faut, pour être heureux, autre chose à mon cœur,
Nous aimons à vivre en famille,
Et d'une jeunesse gentille
Volontiers nous nous entourons.
Contemplez ces jolis boutons ;
De leur beauté je serais presque fière !
Vous avez bien raison, je vis fort peu d'instans,
Mais de leurs charmes ravissans
J'embellis mon déclin, et je passe éphémère
Pour revivre dans mes enfants.
Est-il rien de plus doux pour le cœur d'une mère ?