Dans un vase monté sur un pied de porphyre
Une jeune tulipe, idole du zéphyre,
Elevait dans les airs un front présomptueux :
De sa tige surtout l'essor ambitieux
Semblait devoir bientôt pour jamais la soustraire
Aux profanes regards des enfants de la terre.
De son or nuancé charmer les immortels
Et de l'Olympe orner les vergers éternels
Était le vœu constant de cette fleur hautaine.
À l'ombre d'un buisson, près de là dans la plaine,
Sous l'herbe dérobée à l'œil des importuns
Une humble violette exhalait ses parfums.
Dans la vague de l'air leur vapeur répandue
Entourait son berceau d'une invisible nue
Dont le léger contact inspirant la langueur
De plus d'une bergère avait ému le cœur.
La tulipe sur terre un jour baissant la vue,
La violette en fut par hasard aperçue.
C'est donc vous qu'on admire et que l'on vante tant,
Dit l'orgueilleuse fleur : quel mérite éclatant
D'un nom aussi célèbre a pu vous rendre digne ?
D'une fleur noble en vous je ne vois aucun signe.
Toujours ensevelie en un obscur gazon,
Faible, pâle et rampante, à peine vous voit-on.
Avec moi si le sort au moins vous eût fait naître,
Je vous embellirais ; et vous seriez peut-être
Digne alors comme moi de fleurir dans les cieux.
Hélas ! dit l'humble fleur, et des rois et des dieux
Les superbes vergers n'ont jamais su me plaire
Comme un simple hallier et la molle fougère.
Sous les pleurs de l'aurore éclose le matin
Parfumer une nymphe, expirer sur son sein
Est le sort le plus doux qui pique mon envie.
Mais de votre grandeur enivrée, éblouie,
Vous paraissez sur moi prétendre l'emporter ;
Je ne veux avec vous nullement disputer.
Je n'ai point, je le sais, l'incarnat de la rose ;
Mais quoiqu'à vos regards je sois fort peu de chose,
Mon parfum cependant découvre mon séjour :
Vous découvrirait-on sans la faveur du jour ?