Le Naturiste et le Papillon Frédéric Rouveroy (1771 - 1850)

D'un sillon argenté marquant au loin sa trace,
Un noir limas s'avançait lentement ;
Un fort beau papillon voltigeait lestement
Et du gazon voisin effleurait la surface.
Que je te plains, mon grave et triste ami,
Dit le jeune éventé, que ta vie est pénible !
Par les zéphyrs, comment est-il possible
De vivre ainsi, d'exister à demi,
Se traînant le nez contre terre,
Ne voyant rien de ce qu'on fait là haut ?
Tandis que moi, dans ma course légère,
Je baise mille fleurs ; oui, mille, ou peu s'en faut.
Celle que je choisis est toujours la plus belle,
Je lui prête l'éclat de mes vives couleurs,
Et, la faisant reine des fleurs,
Je la couronne en me posant sur elle.
Que n'as-tu pour un jour des ailes comme moi !
Mais quelqu'un vient, retire-toi
Sous cette feuille, allons, courage...
Si l'on t'apercevait on pourrait faire usage
De ce bâton pointu très-propre à t'embrocher ;
J'y vois même déjà plusieurs de ta famille.
Tandis que l'étourdi babille,
Le noir limas parvient à se cacher ;
Mais l'autre d'assez près se laissant approcher,
Bravait tout, et croyait ses alles bien rapides.
Cependant un réseau le couvre adroitement ;
Il reste pris, sans trop savoir comment,
Et se débat en vain sous les mailles perfides.
Notre amateur sut l'en tirer :
Sache-moi gré, dit-il, ces ailes colorées,
Ce duvet éclatant, ces antennes dorées
Vont bientôt te faire admirer.
Tu périssais demain peut-être !
Je sauve par mes soins la moitié de ton être,
Et te rends immortel ! Rends-moi la liberté,
Répond le papillon, et mon obscurité :
Grand merci de tes soins comme de ta science ;
J'aime mieux un jour d'existence
Qu'un siècle d'immortalité.

Livre I, fable 3




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