Le Candélabre et le Bougeoir Gabriel-T. Sabatier (19ème)

Dans un vaste salon, du haut d’un piédestal,
Un candélabre altier cherche un beau jour querelle
Au modeste bougeoir, porteur d’une chandelle,
Qui placé près de lui ne pensait pas à mal.
Le candélabre, étant tout pétri d’arrogance,
Regarde le bougeoir d’un air plein d’insolence,
Et puis lui dit en ricanant:
« Retire-toi d’ici; laisse-moi seul, manant!
Allons, ne vois-tu pas que les gens de ta sorte
N’ont jamais eu le droit de franchir cette porte?
Bougeoir, dans le salon tu n’es qu’un étranger.
Tu viens ici, je crois, pour me faire enrager !
N’es-tu pas tout confus au milieu des peintures,
Et des tapis brodés et des belles sculptures?
Aujourd’hui le hasard près de moi t’introduit;
Demain tu vas rentrer dans quelque obscur réduit ! » ‘
Le bougeoir, prenant la parole,
Lui répondit d’un ton tout juste bénévole :
« Pourquoi me parles-tu de cet air arrogant,
Me traitant comme un intrigant ?
Bien plus que toi je sers; je porte la lumière
De la chambre au salon, de la cave au grenier.
Quant à toi, je le sais, tu restes sans rien faire
Souvent un mois entier !
Ah ! tu ne devrais pas avoir mine si fière!
Puisque je suis utile et que tu ne l’es pas,
Certes je te vaux bien, mon frère ;
Ne fais donc plus tant d’embarras ! »

Livre I, Fable
8, 1856




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