Le Pasteur et le Malade Gabriel-T. Sabatier (19ème)

Auprès d’une femme malade,
Que l’on citait partout comme avare et maussade,
Le médecin de l’âme, un jour, fut appelé.
C’était un pasteur fort zélé,
Faisant le bien, mais sans parade,
Tel qu’on en trouve mainte fois,
Au sein de nos hameaux perdus au fond des bois.
Le pasteur, sans tarder, arrive à la chaumière ;
Un grabat, deux bahuts, plus un vieil escabeau
En fort mauvais état montraient que la misère
Avait depuis longtemps imprimé là son sceau.
La malade expirait, son visage était blême;
Le pasteur est ému. Cependant, en lui-même,
Tachant de cacher sa douleur, Il lui dit aussitôt :
« Ma sœur, Bientôt, Dieu mettra fin à la sombre misère
Qui fut votre lot ici-bas.
Lorsqu’on quitte la terre et qu’on ne doute pas
D’aller dans ces beaux lieux où la joie est entière,
Rien ne doit rendre amer le moment du trépas !
Qu’il est beau d’échanger une pauvre chaumière
Pour les palais du ciel où l’on ne gémit pas. »
« Oui, c’est bien vrai, lui répondit la femme,
Mais cependant j’ai grand peur de mourir,
Car si pour l’autre monde il me fallait partir,
Ici, je laisserais ce coffre, qu’une dame,
De vêtements tout neufs, a bien voulu remplir ! »
Ce ne sont pas toujours ceux qui sont misérables
Qui regrettent le moins leurs biens.
Souvent l’on s’attache à des riens,
Comme aux trésors les plus considérables.

Livre I, Fable 9, 1856




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