Les deux Malades et le Médecin L-S du Ruisseau (16?? - 17?)

On ne voit ici bas qu'abus, que tromperie,
Ces vices parmi nous font nommez gagne-pain,
Pour nous en corriger on nous exhorte en vain ,
Chacun mène toujours le même train de vie..
Les Gens même confits dans la Philosophie
En tirent quelquefois leur plus solide gain.
Bref l'on croirait mourir de faim
Sans cette maudite manie.
Un des enfants du Dieu que l'on nomme Apollon ,
Non tel que l'était Esculape ;
Mais de la Médecine un indigne avorton,
En un mot un de ceux par qui la mort nous happe,
Dessous ses tyranniques Lois
Tenait un pauvre Villageois.
J'entends un Villageois malade ;
Car ces Gens là lors qu'ils font faim
Font toujours nargue aux Médecins,
Et ne font pas si fous que ces Gens de parade ,
Je veux dire ceux là qui regorgent de biens.
Notre Manant, lassé du régime de vie.
Que l'on lui faisait observer,
Dit à sa femme un jour; je n'y puis résister,
J'en souffre beaucoup plus que de ma maladie,
Fais donc cuire aujourd'hui, sans attendre plus tard,
De nos pois verts avec du lard,
Si tu veux que demain je sois encore en vie.
La femme, sans tant raisonner,
Se laisse à ce discours gagner.
Notre homme donc mangea, non pas comme un malade ,
Mais plutôt comme un affamé,
Le ragoût qu'il avait toute sa vie aimé,
Qui lui sembla plus doux que n'est la marmelade ;
Et pour comble de joie à peine eût-il mangé,
Qu'il fut de son mal soulagé.
D'abord le Villageois s'applaudit et se flatte
D'une parfaite guérison.
Quelques heures après entre dans sa maison
Le satellite d'Hippocrate,
Qui surpris de ce changement
Apprit avec encor bien plus d'étonnement,
Que le lard avec la purée
Avaient seuls la fièvre chassée.
A quelque temps de là notre maître Assassin
Fut appelle de grand matin,
Pour aller dans un lieu de meilleure curée,
C'était chez certain Avocat,
D'un tempérament délicat
A qui le Médecin à tête écervelée
Ordonna sans façon le lard et la purée.
La foi que l'Avocat avait dans ces gens-là,
Lui fit exécuter tout ce qu'il ordonna,
Sans objection ni réplique ;
Mais dès le même jour une horrible colique,
Après un violent effort,
Le mit dans les bras de la mort.

Qu'on voit de Médecins au Monde,
De qui les principaux talents
Sont de certains airs de pédants ;
Mais dont l'ignorance profonde,
En jugeant des tempéraments,
Peuple les tombeaux d'habitants.

Livre II, fable 5




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