Un homme tel que moi, disait un Savetier,,
Peut-il être réduit à faire un tel métier
Et confiné dans un village
Jeûner bon-gré, mal-gré, n'avoir peur tout potage
Que des oignons et du pain bis,
Et toujours boire de l'eau claire !
Vivent les Médecins ! ils font toujours grand-chère
Ils sablent à plaisir les vins les plus exquis,
Et le Bourgogne et le Champagne !
Les Ortolans leur tombent tout-rôtis,
Tout l'Univers pour eux est pays de Cocagne.
Mais quoi, n'en puis-je faire autant ?
Faut-il tant de façons î Ces manants n'ont personne
Qui les traite en leurs maux, ils guérissent pourtant ;
La Nature y pourvoit, la Recette en est bonne !
Comptant sur son secours bien plus certain que l'Art,
Faisons-nous Médecins, ordonnons au hasard,
S'il arrive aux uns mal encombre
Que m'importe ? Dans le grand nombre
Plusieurs se guériront, j'en aurai tout l'honneur
Et le profit, je sais mon Rudiment par cœur,
On est savant à moins dans le siècle où nous sommes :
Le talent le plus mince et d'un rapport meilleur
Est celui de tromper les hommes.

Il dit et troque ses outils
Contre une Robe à cent replis,
Une perruque à triple étage
Et pour compléter l'équipage
La barbe de Termosiris.
Il change d'état, de patrie,
Vient à la ville et prend un nom
Qui sonne haut, Pharmacopon
Neveu du grand Bombast et natif d'Arménie,
Possesseur du grand Arcanum,
Bref il donne maint Galbanum.
Je viens, Messieurs, vous conserver la vie ;
Bien différent de ces Opérateurs,
Vendeurs d'Orviétan, insignes imposteurs
Qu'un intérêt sordide anime,
Je n'aspire, Messieurs, qu'à gagner votre estime
Et ne veux que le bien de la société.
Voici l'Elixir de santé,
Il m'a fallu pour former sa substance
Des plus riches métaux prendre la quintessence
Et fondre saphirs et rubis,
Je le cède pour ce qu'il coûte,
C'est dire tout au juste un Louis chaque goutte,
Aux pauvres j'en donne gratis
Sur un visa pareatis
Qui constate leur indigence.
L(honnête homme, dit-on, Dieu soit sa récompense,
Et le reçoive en Paradis :
Mais voyez qu'il est charitable,
Donner gratis de l'or potable !

Tout arriva comme il l'avait prévu,
Son nom remplir la ville et bientôt la Province,
Et toujours par degrés passe du Peuple au Prince.
Depuis longtemps un mal de qualité,
La Goûte dans un lit tenait Sa Majesté.
Les Docteurs de l'Etat avaient sur sa personne
Epuisé vainement toute la Faculté ;
II eût donné pour la santé
Tous les joyaux de la Couronne,
Car il vaut mieux tout bien compté
Etre un Berger dispos qu'un Monarque alité.
Pour mainte cure peu commune
Pharmacopon fut exalté ;
Par tes Courtisans invité
Il voulut tenter la Fortune,
Persuadé qu'elle pourrait
Guérir un Roi comme un autre homme.
Ou que toute la faute en somme
Sut elle au moins retomberait.

Il se trompa dans son système :
Heureux cent fois le Diadème,
Si toujours l'œil des Rois comme celui des Dieux
Savait percer des cœurs les replis tortueux,
Le Prince vit le stratagème.
Vous avez, dites-vous, un Antidote exquis,
Eh bien nous en ferons l'épreuve sur vous-même.
Le Roi des Elixirs va montrer tout son prix,
J'ai celui des poisons. On apporte un grand verre
Rempli, dit-on, de jus d'Aspic,
Le sucre travesti prend le nom d'arsenic.
À cet aspect tombe par terre
Le fourbe démasqué ; tremblant, saisi d'effroi,
Il implore à genoux la clémence du Roi,
Et racontant toute son aventure
Demande seulement qu'on lui laisse le jour.

Le Monarque aussitôt se tournant vers sa Cour,
Messieurs, dit-il, vous voyez l'imposture,
Votre aveugle croyance a su la surpasser.
Humains, quelle est votre folie !
Vous ne le trouviez pas digne de vous chausser,
Et vous lui confiez le soin de votre vie.

Livre II, fable 3


Une fable longue, très longue, très longue pour moi ; et j'avoue ne pas avoir la culture pour la comprendre en entier.

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