Les deux Rêveurs et le Médecin Marie-Amable Petiteau (1736 - 1816)

Agités, tourmentés par de sinistres songes,
Deux amis musulmans allèrent un matin
Consulter en secret un fameux médecin.
Les rêves, disaient-ils, ne sont que des mensonges ;
Je n’y crois pas, assurait chacun d’eux :
Mais vivre sans repos, c’est vivre malheureux.
Parlez-nous franchement, vérité toute nue.
Sans relâche, dit l’un ; je vois sitôt minuit
Un scélérat qui me poursuit ;
Il m’atteint, il me vole, et souvent il me tue.
D’un bon sommeil ne puis-je espérer la douceur ?
De grâce ! rendez-moi ma santé, ma fraîcheur.
Pour moi, dit l’autre, en Afrique, en Asie,
Je suis toutes les nuits élu roi, couronné ;
L’instant d’après, me voilà détrôné,
Puis mis à mort, au moins emprisonné ;
Ce songe m’importune, il abrège ma vie.
D’où viennent ces égarements ?
Ah ! calmez mon esprit, mes sens,
Et rendez-moi le repos, je vous prie.
Ce n’est pas là mon fait, repartit le docteur :
L’ambition et l’avarice
Ne sont point maux du corps, ce sont vices du cœur.
Si j’étais charlatan, j’accepterais l’office
De vous traiter, sans vous guérir ;
Mais de vous seuls dépend la fin d’un tel supplice ;
Bientôt d’un bon sommeil vous deux pourrez jouir.
Masouf, dit-il, apostrophant l’avare,
Allez chez l’indigent verser votre trésor ;
Le bien qu’on fait, vaut mieux que l’or :
Plus de terreurs alors, plus de rêve bizarre.
Pour vous, ambitieux, quittez désirs, projets ;
N’étant plus roi, vous dormirez en paix.
Je ne cesse de dire à ceux que je conseille,
Qui, tourmentés la nuit, se plaignent de leur sort :
Si l’homme était plus sage quand il veille,
Il serait moins fou quand il dort.





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