Les trois Amis Henry Macqueron (1851 - 1888)

Dans l’almanach j'ai rencontré
Ce sujet qui fut à mon gré,
Encor que n’aimant pas piller, je m’en empare ;
A ma façon je le redis.

Un homme eut trois amis.
Trois amis ! Un seul est si rare !
Enfin il les avait. Il témoignait à deux
Une amitié toute sincère ;
Au troisième il ne pensait guère.
Un procès vient, au succès hasardeux.
L’homme aux amis, comptant sur eux,
Va trouver le premier. Par-devant la justice
Celui-ci volontiers serait à son service ;
Mais une affaire le retient.
Le second est prié. Certes, de bonne grâce,
Pour un ami rien qu'il ne fasse ;
Au pied du tribunal, il sera son soutien,
Jusqu’à la porte il accompagne ;
Là, voilà que la peur le gagne ;
Il fuit. Seul entre donc le pauvre homme tremblant.
Mais il n’est pas encore arrivé sur le banc
Que le troisième ami vers sa rencontre vole,
Le félicitant du succès.
D’avance il a pris la parole
Et gagné le procès.
L'homme a ses trois amis. Mais, à la suprême heure,
Quand Dieu l’appelle à lui pour décider son sort,
Chacun agit à sa façon. D’abord
Son or l’abandonne, et demeure
Retenu dans le coffre-fort.
Vient le jour du dernier voyage.
Jusqu’au bord du logis que l’on ne quitte plus,
La famille le suit, tendre et pieux hommage,
Et le laisse bientôt, comme ont fait ses écus.
Enfin, pour l'assister en face de son juge,
Le défunt n’a qu’un seul refuge.
Au terrestre séjour à peine il y pensait :
C’est le bien qu’il a fait.

Fable 38




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