Polir l'esprit des gens est-ce faire œuvre utile ?
En soi la chose est bonne, et nul n’y contredit ;
Mais je ne voudrais pas que chacun confondit
Le brillant du savair et cet éclat futile
Dont les mœurs en déclin font parade à la ville.
Pour donner aux esprits de douteuses clartés,
En voulant n'enlèver que leur grossière écorce,
Nous pouvons les priver d’utiles qualités,
Gâter leur naturel et leur ôter leur force.
A ces esprits heureux de leur simplicité,
Nous donnons en échange un éclat illusoire ;
Qui croit les mener à la gloire,
Les plonge dans l'obscurité.
Le sujet est immense, et, si quelqu’un y touche,
Il en pourra former un gros livre à loisir.
Mais il est des esprits qu’un ton grave effarouche ;
La vérité trop sombre allant mal à ma bouche,
La fable, en souriant, saura mieux l’éclaircir.
Un mougik, sot fieffé, comme dans son espace
On en voit par milliers, un jour avait trouvé
Un fort bon ducat d’or gisant sur le pavé.
La pluie et la poussiére avaient rouillé la pièce ;
Pourtant à notre homme on offrit
Trois fois plein ses deux mains de monnaie en échange.
« A d'autres ! se dit-il; étant garçon d’esprit,
Pour en avair le double, il faut que je m’arrange.
J'ai mon plan ; ce ducat, laissez faire, on viendra
Me l’arracher des mains, et chacun en voudra ! »

Prenant donc du gravier, du sable, de la craie
Et de la brique en poudre, il s'en donne à plaisir
Sans tréve, à tour de bras, il frotte, il use, il raie
Le malheureux ducat, pour le mieux éclaircir.
Il frotte avec le sable, il frotte avec la brique,
Avec la craie il frotte encor,
Dans l'espoir de donner à l'or
Un brillant, un éclat magique.
L’or brille enfin, mais, par malheur,
Hélas! ce ducat magnifique
Perdant son poids, perd sa valeur.

Livre II, fable 4




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