Les Impies Ivan Krylov (1768 - 1844)

Un peuple de l'antiquité,
Peuple à l'âme endurcie, opprobre de la terre,
Des dieux bravant l'autorité,
Contre le ciel se mit en guerre.
Pour accomplir enfin leurs projets inhumains,
Un jour, de flèches et de pierres,
Mares et de frondes meurtrières
Les révoltés arment leurs mains.
Par milliers courant dans les plaines,
Ils lancent vers le ciel d'insolentes clameurs,
Et de l'impiété zélés instigateurs,
Soufflant la discorde et les haines,
Ils vont par leurs discours embraser tous les cœurs.
De despotisme et de folie
Ils osent accuser le grand conseil des cieux.
« Mais, disaient-ils, que font les dieux ?
Leur conseil dort et nous oublie,
Ou, s'il agit, rien n’en va mieux !
Apprenons-leur à vivre, allons ! l'heure est venue ;
Sur les hauteurs portons nos pas ;
La, sans qu'on vain respect vienne arrêter nos bras,
Nos pierres et nos traits iront percer la nue,
Et l’Olympe, écrasé, va tomber en éclats. »

Mais de leur insolente audace
Les dieux se sont émus ; pour conjurer les coups
Dont la révolte les menace,
Ils vont de Jupiter activer le courroux.
Le conseil est d’avis qu'afin de les réduire,
Le plus simple prodige aisément peut suffire.
Pour disperser tous ces pervers
Que faut-il après tout ? Un déluge ou la foudre ;
On ne peut-on sur eux lancer, du haut des airs,
Des rocs pour les réduire en poudre ?
« Attendons, dit le roi des cieux.
Dans leur révolte et leurs blasphèmes
S'ils persistent, cessez de craindre pour les dieux ;
Les rebelles bientôt se châtieront eux-mêmes. »

Or, voila qui avec un grand bruit
De la foule ameutée éclate enfin la rage.
De pierres et de traits un horrible nuage
Dans la céleste plaine a répandu la nuit.
Alors du roi du ciel la puissance insultée,
Fait retomber sur eux leurs traits du haut des airs ;
Et la mort, les frappant sous mille aspects divers,
Jonche de leurs débris la terre épouvantée.

Tels sont les tristes fruits de l'incrédulité :
Peuple, garde-toi bien de tes faux philosophes ;
Leur voix, en insufflant à la Divinité,
Peut avancer pour toi l’heure des catastrophes ;
Mais que font contre Dieu leurs efforts insensés ?
Pour venger ses affronts, sa main, moins débonnaire,
Fera toujours sur eux tomber comme un tonnerre
Tous les traits qu'ils auront lancés.

Livre II, fable 5




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