Le Tonneau gâté Ivan Krylov (1768 - 1844)

Un voisin sans façon chez un de ses amis
Vint, pour deux ou (trois jours, emprunter une tonne.
Quand le cas n’est pas grave, on sait qu'il est admis
Qu’on ne doit refuser un service à personne ;
C'est un devoir sacré! Des qu'il s’agit d'argent,
C’est tout une autre affaire, et l'amitié plus chiche
Peut alors évincer l'ami plus exigeant ;
Mais à prêter sa tonne, on n'en est pas moins riche.
Trois jours après, quand le tonneau
Lui fut rendu par son compère
L'autre ami, comme a l'ordinaire,
S'en servit tout d’abord pour charrier son eau.
Jusque-là, c'était bien ; mais le mal de l'’affaire,
C'est que, pendant trois jours, le voisin indiscret
Avait mis dans la tonne un vin de cabaret
Qui répandait sur tout son odeur délétère,
Quand donc, pour ses besoins, le maitre du tonneau
Le remplissait de miel, de vivres ou de bière,
Tout prenait mauvais goût, Durant l’année entière,
Il tient la tonne à l'air et la lave à grande eau,
Rien n'y fait ! L’odeur empestée,
Malgré son travail et son soin,
Dans le bois est toujours restée,
Et le tonneau gâté va pourrir dans un coin,
Vous à qui ma fable s'adresse,
Parents, e(forcez-vous d’en garder la leçon.
Quand au vase encor pur où boit notre jeunesse
L'enseignement du vice a versé sou poison,
Pour rendre au cour souillé sa pureté ravie,
Vos efforts, vos conseils en vain luttent @ardeur :
Le vase gardera l'odeur
Qui peut empoisonner la vie.

Livre II, fable 9




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