Un sot Crésus désirait pour sa table
Une provision de ce nectar divin
Dont la terre à Bacchus fut, dit- on, redevable.
(Comme tout autre, un sot boit, aime le bon vin,
Et dans ce grand art même en sait bien davantage
Que l'érudit et que le sage).
Notre sot, seigneur opulent
(Ce qui se voit encore assez souvent),
Des vins divers fort bien connaissait le mérite,
Mais de sa cave point ne faisait la visite ;
A ses gens il laissait d'aussi vulgaires soins,
Attendant qu'attentif à prévoir ses besoins
Leur zèle lui fournît sa boisson toute prête.
Cette fois, par lui-même il veut faire l'emplette.
Chez un marchand de vin il s'en va gravement ;
Il entre, pénétré d'un saint recueillement,
Dans le souterrain respectable
Où se garde en dépôt la liqueur délectable.
Quel spectacle imposant à ses yeux vient s'offrir !
Cent tonneaux à la file en bon ordre se pressent ;
De suaves parfums à son âme s'adressent :
«J'en ai de tous les crûs et vous pouvez choisir, »
Dit le marchand. Pour être véridique,
Il eût pu dire aussi : « J'ai dans mainte barrique
D'un art savant certain produit,
Pour lequel de la vigne on dédaigne le fruit,
Dont la couleur égale au pourpre le plus beau,
Fut empruntée au jus qu'on tire du sureau. »
Le niais veut montrer comme il sait s'y connaître,
Examiner et prononcer en maître.
Du pommeau de sa canne il frappe tour à tour,
Comme en interrogeant, le fond de chaque tonne.
Nulle d'abord ne répond..... il s'étonne.
Il en est une, enfin, qui, semblable au tambour,
En accents prolongés lui réplique et résonne.
De surprise et de joie ébahi, le niais
En secret s'applaudit de son expérience ;
A ce signal, il croit d'avance
Du nectar le plus pur régaler son palais.
« Qu'est- il besoin que je le goûte ?
D'un son aussi majestueux
Le langage mystérieux,
Parbleu, m'en dit assez sans doute ;
Voici le tonneau de mon choix.
De ces tonneaux muets je ne saurais que faire ;
Celui- ci promet tout ; fort bien, c'est mon affaire. »
Il dit et frappe une seconde fois,
Et toujours mieux jouit de sa trouvaille.
« Bon homme, or çà.... le prix ? - Celui de la futaille
Me suffit, répond le vendeur. »
- Eh ! quoi !.... pour un marchand vous n'êtes point hâbleur,
Marchand de vin surtout ! » Les assistants de rire.
D'un tel sot, allez-vous me dire,
On ne vit jamais le pareil,
Et quoique des niais la famille, en ce monde,
Il faut en convenir, suffisamment abonde,
Il n'en est, certes pas, de tel sous le soleil.
Pardon.... mais pour qui donc prenez-vous, je vous prie,
Ceux qui, dans votre compagnie,
De vos discours sont étourdis ?
Ne supposez-vous pas que dans un tonneau vide,
Par un vain son trompé, votre auditeur stupide
Pense trouver un vin exquis ?
N'êtes- vous pas, vous à qui je m'adresse,
Ces emphatiques discoureurs
Dont la voix retentit sans cesse,
Et de mille récits les féconds inventeurs ?
En vain vous prétendez nous conter des merveilles :
Votre jargon oiseux fatigue nos oreilles.
Par vos contes peut-être un sot sera surpris,
Mais chez les gens sensés vous n'abusez personne.
Plus vous retentissez, moins vous êtes remplis ;
C'est le vide en vous qui résonne.