Le Lion et la Panthère Ivan Krylov (1768 - 1844)

Le roi des forêts autrefois,
Avec madame la panthère,
Au sujet d'un vallon, d'un repaire ou d’un bois,
Depuis longtemps était en guerre.
Sans doute on eût pu tout d’abord
Décider par le droit qui des deux avait tort ;
Mais avec les puissants le droit n’a rien à faire :
Leur code dit qu’en toute affaire,
On est toujours très juste alors qu'on est très fort.
Après mainte et mainte aventure,
Ces combats acharnés devaient pourtant cesser,
Sans quoi la griffe la plus dure
Aurait fini par s’émousser,
On arrêta que la querelle
Serait soumise au droit, sans plus troubler l'Etat,
Et que l'on signerait une paix éternelle,
Comme on l'entend toujours... jusqu'au premier combat.
« Il nous faudrait, dit la panthère,
Choisir pour nous juger chacun un secrétaire ;
Ce qu'ils décideront pour nous deux fera Loi,
Moi, je prendrai le chat ; il manque un peu de tête,
Mais enfin il est probe, et c'est assez pour moi.
Toi, prends l'âne, à ton tour ; c'est une noble bête !
S'il te faut parler franc, c'est tout à fait ton lot.
Tu ne pourrais, à ta cour même,
Trouver pareil sujet. Crois un ami qui t'aime,
Tout ton conseil privé ne vaut pas son sabot.
Faisons-nous donc ici promesse
D'accepter ce qu'en ce débat,
Avec mon bonhomme de chat,
D'un pareil conseiller réglera la sagesse. »

Le lion ne dit mot, mais, méditant à part,
Il met de côté l'âne et prend... maître Renard.
Sa Majesté sans doute étant assez savante
Pour connaître le monde et juger ce qu'il vaut,
S'était dit : « Tout ami qu'un ennemi nous vante,
N'est jamais l'ami qu'il nous faut. »

Livre II, fable 6




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