Le Curé et les Impies Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Un bon curé prenait au sérieux
Les préceptes de l'Evangile.
Du bon peuple à sa voix docile
Il aimait les enfants, il consolait les vieux,
Il donnait sans compter et sans le dire à Rome.
Ses mains, son cœur, sa bourse étaient hospitaliers.
Je le vis en hiver, pour chausser un pauvre homme,
Oter lui-même ses souliers.
La paroisse, assez vaste, à son zèle soumise,
Comptait bien aussi quelques gens
Qui ne venaient pas à l'église ;
Mais le curé, s'ils étaient indigents,
Les visitait de préférence,
Et leur donnait autant qu'à d'autres, souvent plus.
Quelqu'un s'en étonna. – Voici ce que je pense,
Dit le curé. Le ciel console ses élus ;
Mais ceux qui dans le ciel ne trouvent qu'un grand vide
Sont bien plus malheureux : n'y dois-je pas songer ?
Ils ne me veulent pas pour guide,
Il me reste à les soulager.
Je ne puis les servir dans mon devoir d'apôtre,
Mais je leur dois, suivant mon devoir de chrétien,
Dans ce monde, en passant, faire beaucoup de bien,
Ne pouvant rien pour eux dans l'autre.

J'ai connu ce curé, je tiens même de lui
Cette anecdote véritable,
Qui, chez les chrétiens d'aujourd'hui,
Devra passer pour une fable.

Livre IV, fable 21


Symbole :

La petite anecdote qui porte le titre de fable XXI n’est ni une fable ni un symbole, c’est une simple et touchante histoire. Le prêtre qui comprenait si bien son ministère était curé de la cathédrale de Chartres en 1836 ; il se nommait l’abbé Lecomte. S’il y avait beaucoup de pareils curés, le monde entier serait bientôt chrétien.
L’abbé Lecomte n’était pas un curé philosophe et ne ressemblait en rien au vicaire savoyard de Rousseau ; ce n’était ni le Jocelyn de Lamartine, ni le Gabriel d’Eugène Sue. C’était un vrai catholique, un vrai croyant, qui prenait la morale au sérieux non moins que le dogme. Il n’était pas tolérant, il était indulgent et charitable. Tolérance veut dire complicité négative, charité et indulgence veulent dire patience et réparation. Un prêtre tolérant est un prêtre sans foi ; un prêtre indulgent et charitable est un vrai prêtre.
L’Eglise n’est pas une maison de tolérance, c’est une maison d’indulgence et de charité.
La tolérance n’est pas charitable, et c’est pour cela que la charité ne doit pas être tolérante.
Le père de famille qui tolère les vices de ses enfants, le mari qui tolère les désordres de sa femme, sont des lâches. Pardonner n’est pas tolérer.
Faire du bien à ceux qui sont hostiles à nos croyances, c’est leur prouver que nos croyances sont salutaires, ce n’est pas tolérer leur incrédulité.
Faire du bien à ceux qui nous font du mal, ce n’est pas tolérer le mal, c’est vaincre le mal par le bien.
Soyons envers les ennemis de la religion d’une bienveillance acharnée et d’une charité
implacable.

Tu braves mes bienfaits, je les veux redoubler ;
Je t’en avais comblé, je veux t’en accabler.


Voilà quelle devrait être, selon nous et selon l’Evangile, l’intolérance de l’Eglise.


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