La Couleuvre et la Grenouille Jacques Peras (18è)

Dans un Marais une Couleuvre
Un beau jour fit une bonne œuvre
Dont dans la fuite elle se trouva bien.
Le Marais contre l'ordinaire
À la Couleuvre n'offrait rien,
Sinon le limon de la terre
Point de Grenouilles, le moyen
Que sans ce mets elle fit bonne chère !
L'Animal rampant avançait,
Et cherchait sa bonne fortune,
Vraiment Grenouille le flattait,
Quand par hasard il en entendit une
Qui près de lui fort gaiement croassait.
Dame Couleuvre écoutant la Grenouille,
Croit entendre des fons doux et mélodieux
Et sent que son palais se mouille
A l'odeur de ces mets fin et délicieux ;
L'espoir de la croquer la flatte ;
Elle se glisse, approche, et très subtilement
Saisit la Grenouille à la pate,
Comme elle prenait son élan.
Ah ! méchante, qu'allez- vous faire ?
Quoi ! vous voulez me dévorer ?
Je puis vous être nécessaire,
Laissfez-moi vivre. Eh ! que puis-je efpέrer
De toi ? dit la Couleuvre, il faut que je te mange,
C'est à quoi tu peux me servir.
Obligez-moi, je vous rendrai le change,
Répliqua la Grenouille, Eh ! laissez-vous fléchir ;
On ne voit pas dans l'avenir,
On croit se suffire à soi-même
Sitôt qu'on n'a besoin de rien,
Hélas ! c'est une erreur extrême :
Sans espoir de retour, faites toujours du bien
Croyez-moi suivez ce systême,
L'homme le plus sense ne vous dirait pas mieux.
La Couleuvre à ces mots lâche la Suppliante
Atout hasard. Après un jour ou deux
Dame Couleuvre l'indulgente
Était à dormir au Soleil.
Un homme vint, et l'ayant aperçue
A des arbres voisins coupait une massue,
Ou du moins un bâton. Voyant cet appareil,
La Grenouille reconnaissante
Eveille la Couleuvre, et lui dit le dessein
Que l'on tramait contr'elle. Alerte et vigilante
La Couleuvre se fauve et gagne du terrain.

Cette Fable nous représente
Qu'un bienfait n'est jamais perdu
Ce n'est pas au siècle où nous sommes,
Et je dis, moi, tant je fuis ingénu
Qu'il l'est bien souvent chez les hommes,
Allons point de causticité,
L'homme, des Animaux, est le plus respecté,
La raison est de son domaine,
Ainsi dites la vérité?
Je dis que de la race humaine
C'en est beaucoup, si sur un cene
Il s'en trouve un qui soit reconnaissant.

Livre III, fable 2




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