Un moineau coquet et volage
Aimait à voir couler ses jours
Au sein de faciles amours,
Et gaîment il passait le printemps de son âge,
Comme si le bonheur devait durer toujours !
Chaque jour, disait-il, j'ai de bonnes fortunes :
L'hymen n'est réservé qu'à des âmes communes.
Je veux m'appartenir ; j'en jure sur ma foi,
Je ne subirai point sa loi.
Une fois pris, plus de ressource ;
Puis, de mille embarras le ménage est la source.
Tant que ta femme est sur les œufs,
Je te vois, pauvre époux, lui porter la pâture ;
Tu deviens père, et non moins malheureux,
Il te faut prendre soin de ta progéniture !...
Mais, lecteur, c'est assez : je n'ai pas le projet
De tout te rapporter ce que l'oiseau put dire
Sur un aussi grave sujet.
Cet extrait, je crois, doit suffire.
Le Temps, malgré tous ses discours,
N'en poursuivait pas moins son cours,
Lui qui voit, tôt ou tard, la fin de toutes choses,
Qui fait rider nos fronts, qui fait faner les roses ;
Le Temps le fit vieillir, et bientôt sans retour
Désertèrent les Ris, les Plaisirs et l'Amour,
Que vinrent remplacer la froide Indifférence,
Les Ennuis, les Chagrins, suivis de la Souffrance.
En vain notre moineau gémissait sur son sort,
En vain à son secours il appelait la Mort ;
Souvent il lui fallait, parcourant la campagne,
A travers les glaçons chercher quelqu'aliment
Pour vaincre de la faim le douloureux tourment.
Que n'avait-il alors une douce compagne
Pour alléger ses maux, pour prévoir ses besoins !
Devenu vieux et cacochyme,
Il se serait mis au régime ;
Il aurait reconnu le prix de tendres soins.
Mais non, tout accablé du poids de sa misère,
Personne, à son heure dernière,
Ne prit pitié de son état ;
Personne n'était là pour clore sa paupière ;
Il mourut seul sur son grabat :
Et puis vantez le célibat !

Livre III, fable 20




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