La plume et le papier disputaient, certain jour,
Sur leur rare mérite et leur haute importance ;
Dieu sait avec quelle jactance
Chacun de nos rivaux étalait tour à tour,
Ses gestes, ses hauts faits et ses titres de gloire !
Tous deux voulaient avoir la palme et la victoire.
Pour moi, disait la plume, instrument de savoir,
Le plus ingénieux qu'on puisse concevoir,
Dans ma course rapide où je glisse élancée,
De l'homme intelligent je fixe la pensée ;
Et lui donnant un corps dégagé, gracieux,
Dont les traits éloquents parlent à tous les yeux,
À la postérité, dans leur grâce infinie,
Je transmets, chaque jour, les œuvres du génie.
Grâce à moi, franchissant les terres et les mers,
La pensée aujourd'hui parcourt tout l'univers,
Et, répandant partout sa lumière féconde,
Fait fleurir le progrès dans tous les coins du monde.
Ainsi donc mon mérite, immense et sans pareil,
N'a rien de comparable à lui sous le soleil.
— Moi, disait le papier, boufsi d'impertinence,
Ma mignonne, j'ai bien autrement d'importance :
Tantôt couleur de rose, élégant, parfumé,
Sous un pli gracieux doucement enfermé,
En messager fidèle et rempli de prudence,
Des regards indiscrets bravant l'impertinence,
Je transmets aux amants, pour enivrer leur cœur.
Des paroles d'amour, de joie et de bonheur ;
Tantôt blanc comme neige, épais, fort et solide,
De deux timbres orné, l'un sec et l'autre humide,
Toujours d'un certain prix, j'ai surtout pour emploi
Défaire exécuter sévèrement la loi :
Expropriant les uns, incarcérant les autres
Et faisant mettre à mort nombre de bons apôtres ;
De tout ce qui se fait constamment informé
Ici, sur grand format, par colonne imprimé,
Avec une vitesse à nulle autre seconde,
Je porte, chaque jour, aux quatre coins du monde,
Politiques ou non, les faits les plus divers
Glanés sur tous les points connus de l'univers.
Ailleurs, mince, soyeux, et de grandeur restreinte,
De divers attributs portant la riche empreinte,
Moins lourd, plus précieux et plus noble que l'or,
En chiffons réunis je deviens un trésor
Que, comme un talisman, la main la plus mignonne
Dans ses doigts délicats avec grâce emprisonne.
Immense est ma vertu, sans borne est mon pouvair,
En tous lieux adoré, la beauté, le savoir,
La force, la valeur et même le génie,
Tout s'incline devant ma puissance infinie :
Je dispose, en tous lieux, des grâces, des faveurs,
Des charges, des emplois, ainsi que des honneurs.
Pour le dire, en un mot, je gouverne le monde
Et règne en souverain sur la machine ronde ;
Dès lors, il n'est rien, rien, qui m'égale ici-bas.
— C'est bien ! reprit la plume ; oui, mais tu ne dis pas
Que du noble épicier tu fais aussi l'affaire
Et qu'aux lieux odorants on ne te prise guère.
De vos rares vertus et de vos qualités
N'élevez pas trop haut le prix et l'avantage,
Si vous ne voulez pas qu'on vous jette au visage
Vos vices, vos défauts et vos indignités.