Chef-d'oeuvre de travail, merveille de génie,
Une superbe épée et son riche fourreau,
Bien assortis, vivaient en parfaite harmonie,
Formant un heureux couple aussi brillant que beau ;
L'un pour l'autre toujours remplis de bienveillance,
Ils resserraient ainsi leur étroite alliance ;
Et, se prêtant sans peine un mutuel secours,
Dans leur plus vif éclat, ils coulaient d'heureux jours.
À la fin cependant, se plaisant moins chez elle,
L'épée un certain jour fut, hélas I infidèle.
Instruit, à son retour, le fourreau s'enflamma,
S'emporta, tempêta, cria, pleura, bouda ;
Et loin d'avoir pour elle un peu de déférence
Il ne la reçut plus qu'avec indifférence.
Notre épée à son tour, fort peu de belle humeur,
En rechignant blessa le fourreau par malheur ;
Celui-ci furieux d'une telle équipée,
Devint impitoyable envers la pauvre épée
Ne voulant plus jamais la recevoir,
Ni même la revoir.
Pour l'attendrir l'épée, en vain fit son possible ;
Le fourreau fut toujours envers elle insensible,
Et pour dire plus vrai rempli de cruauté ;
Chacun dès lors vécut de son côté.
Le fourreau, bien encor, et n'ayant guère envie
De passer tristement le reste de sa vie
Dans un isolement voisin de l'abandon,
Tarda peu de s'unir à certain espadon,
Gaillard aux larges reins, et de superbe taille,
Toujours prêt à frapper ou d'estoc ou de taille,
Mais Iourdeau s'il en fut, épais, grossier, brutal ;
Par conséquent, très-peu sentimental.
Avec un pareil Sire,
On comprend, sans le dire,
Que le pauvre fourreau, tristement résigné,
N'avait pour son malheur au change rien gagné;
Car, en remercîment de ses soins et services,
Il n'obtenait jamais qu'injures et sévices ;
Aux yeux de ce brutal
Rien n'était comme il faut, tout allait toujours mal,
Aussi, notre fourreau, ne sachant plus que faire,
Vivait dans le tourment, craignant de lui déplaire ;.
À la fin cependant, n'y pouvant plus tenir,
Et préférant mourir,
Plutôt que de traîner une telle existence,
Il eut le tort bien grand de faire résistance ;
Pour le coup l'Espadon, transporté, furieux,
Et lançant des éclairs de chacun de ses yeux,
Tombe sur le fourreau, peu fort à la parade,
Et lui fuit dans le flanc une ample estafilade,
Qui, soudain le mettant à deux doigts du tombeau,
L'envoie en gémissant rouler sur le carreau,
D'où frippé, déchiré, le pauvre camarade,
Se tira comme il pût, très-gravement malade.
Pour en finir plutôt, sans regret, sans ennui,
Notre Espadon chassa le fourreau de chez lui ;
Le malheureux brisé: sans soutien, sans asile,
Errant à l'aventure au travers de la ville,
Ayant de son éclat perdu plus de moitié,
Et plutôt que le blâme inspirant la pitié,
Fit bientôt connaissance
D'un malotru briquet, superbe d'arrogance,
Grand faiseur d'embarras, tapageur, querelleur,
Et se faisant, surtout, un grave point d'honneur
D'aller sur le terrain pour la moindre parole,
Ou pour un fait non moins futile que frivole.
Avec un fat pareil, toujours dans le tourment,
Le malheureux fourreau traité brutalement,
Et, tous les jours, d'un ton plein d'insolence.
Menait sans dire mot la plus triste existence :
En effet, le bourreau,
Dans ses moments d'humeur, tapait sur le fourreau
Ainsi qu'un forgeron frappe sur son enclume,
Et le faisait crier comme un geai qu'on déplume ;
On eût crié pour moins, cardiaque coup nouveau,
Assené rudement, emportait le morceau.
Soumise, chaque jour, à cet affreux régime,
De la brutalité notre triste victime,
S'en allant lentement par pièces et morceaux.
Ne forma bientôt plus qu'un fouillis de lambeaux.
Dans ce piteux état, que le peuple baffoue,
Le fourreau s'évadant fut rouler dans la boue,
Où grouillant, malheureux et s'enfonçant toujours,
Il finit tristement le reste de ses jours.
De son côté l'épée, inconstante et volage,
Par degrés arrivée en plein libertinage,
Et sans cesse suivant un caprice nouveau,
Changeait légèrement chaque jour de fourreau,
Et, ne conservant plus ni crainte ni scrupule,
Sans honte ni pudeur, vivait dans la crapule.
Dans ce piteux état,
L'infâme ayant perdu : valeur, richesse, éclat,
Par la rouille rongée et n'ayant rien qui vaille,
Finit par s'engloutir dans la vile ferraille.
La fable se comprend très bien ;
Une moralité ne servirait à rien.