Le Campagnard et les Dindons Jean-François Haumont (17** - 18**)

Un habitant de la campagne,
Dans un pays qui valait bien Cocagne,
Avait pris grand soin d'élever
Dans le dessein de se bien régaler
De beaux dindons, au moins une douzaine.
En bon gourmand, il était fort en peine
Comment il devait préparer
Ces dindons, qu'il voulait manger.
Il jugea que la prudence,
Dans cette affaire d'importance,
Exigeait un conseil ; qu'il fallait assembler
Ses dindons, pour les consulter ;
Puis il leur dit : ceci vous touche
Autant et plus que moi qu'aucun ne s'effarouche ;
Il s'agit de vous consulter,
Non pour savoir si l'on doit vous manger,
C'est un point résolu, c'est votre destinée,
Et depuis près d'une année,
On vous engraisse à cet effet :
Vous êtes bien dodus, j'en suis très - satisfait.
Je vous demande donc, sans que cela vous choque,
À quelle sauce enfin vous voulez qu'on vous croque.
Tyran, répondent les dindons,
Puisque nous ne pouvons réprimer votre rage,
Si tel est notre affreux partage,
Fallait - il, sans pitié, nous conter vos raisons ?
Votre barbarie infernale,
Par un rafinement de votre cruauté
Nous ôte le bonheur de la sécurité :
Nous ignorions la manière fatale
Qui devait terminer notre sort malheureux ;
La mort n'a rien de si fâcheux ;
Non, la mort est la fin de tout ce qui respire ;
Mais de périr par un assassinat,
La connaissance est un martyre,
Qui met le comble à l'horrible attentat.
Au malheureux dérobons la science
Du sort affreux qui doit finir son existence.

Livre II, Fable 6




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