Le Renard et les Dindons Eugénie et Laure Fiot (19ème siècle)

Un renard; qui faisait le guet,
Ou, si l'on veut, le pied de grue
Sur la lisière d'un bosquet,
Dévorait déjà, de la vue,
Des dindons, en noirs bataillons,
Courant la glane, à travers les sillons ;
Jean-Petit, leur gardien, avec sa longue gaulé,
Bien assise sur son épaule,
Allant, venant, et s'arrêtant parfois,
Mettait le fripon aux abois.
Celui-ci se disait :• Faut-il que cet inepte
N'aille pas dé l'autre côté :
J'aurais alors la faculté
De saisir le gibier que ce gars m'intercepte ;
Ou, s'il se baignait dans l'étang,
J'aurais de même libre champ,
Pour exécuter, à ma guise,
Le plan complet d'une belle entreprise : ;
C'est de chasser, dans les taillis épais,
Les dindons de ce petit drôle,
Et, tout en remplissant son rôle,
Leur rendre les maux qu'il m'a faits;
Ce serait un bon tour d'école !...
A peine ces mots étaient dits
Que voilà Jean qui met bas ses habits,
Et dans l'étang se jette et nage :
Notre renard soudain reprend courage
Et> se glissant en tapinois,
11 arrive le long du bois,
Prend les habits, fait sa toilette,
S'affuble en Jean-petit nouveau,
En finissant par la casquette,
Dont il se sert pour cacher son museau.
Il est debout; sur la gaule il s'appuie,
Et, trompant, par sa marche, et la vue et l'ouïe,
Des dindons qu'il pousse en avant,
Il fait si bien qu'il est pris pour l'enfant ;
Il les conduit au bois ; ceux-ci goûtaient l'ombrage
Et le renard déjà leur préparait sa rage*
Lorsque le pâtre, étant vite accouru,
Prit son sosie au dépourvu,
Retint sa fuite embarrassée,
Et le punit en l'assommant.

Ainsi le fourbe est pris souvent
Dans l'embûche qu'il a dressée.

Fables nouvelles, Livre VI, Fable 2, 1851




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