Jadis, une carpe très -belle,
Se prit à l'appât d'un pêcheur.
Cependant, par un grand bonheur,
Prête d'entrer dans la nacelle,
Elle glisse, elle échappe aux mains de son vainqueur,
Se sauve au fond de la rivière,
Promettant bien de finir sa carrière,
Sans toucher à l'appât trompeur,
Qui pensa faire son malheur.
Un jour qu'elle contait sa funeste aventure
Asa plus jeune sœur en montrant la blessure
Qu'elle reçut près du menton,
Du traître et perfide hameçon ;
Cette sœur répondit : vous plaisantez, ma chère !
Vous, suspendue en l'air, par le menton ?
Ce conte est de votre façon ;
La chose est impossible, et n'est qu'une chimère.
Comme il vous plaira, mon enfant :
Si le cruel m(offre encor son présent
Je me garderai bien d'y tâter davantage.
Mais que vois - je ? tenez, je gage
Que c'est toujours ce mets qui me parut si bon,
Que le méchant m'offrait au bout de son bâton :
En effet, le pêcheur avait jeté sa ligne.
Que ce morceau paraît charmant !
Dit la cadette ; assurément,
De notre mère il serait digne.
- Gardez - vous d'y toucher ma sœur.,
Pourquoi donc ? moi, je n'ai pas peur :
Non, ma sœur, vous avez beau dire,
Je ne crois pas du tout votre conte pour rire ;
Je ne manquerai pas le régal excellent
Que le hasard m'offre dans ce moment.
Puis, n'écoutant plus rien, cette jeune obstinée
S'élance, est prise, meurt, subit sa destinée.
Abusant de sa liberté,
La trop sémillante jeunesse
Croit toujours voir l'austérité
Dans les conseils de la sagesse.