Le Solitaire et le Geai Jean-François Haumont (17** - 18**)

Dans un bois sombre et solitaire,
Damis pensait en liberté ;
Libre de soins, sans souci, sans affaire,
Il jouissait de sa tranquillité :
Loin du chaos du monde, et ses fréquents orages,
Il trouvait le bonheur sous ces charmants ombrages ;
Le doux ramage des oiseaux ;
Zéphir agitant les rameaux,
Ce murmure léger seul frappait ses oreilles.
Tandis qu'il méditait sur toutes les merveilles
Que la belle saison présentait à ses yeux,
Un geai cruel, malencontreux,
Interrompit sa douce rêverie
Par les sons très-aigus de sa voix de furie.
Le penseur, furieux contre l'oiseau bavard,
Qui venait sans aucun égard
Déranger le repos d'un grave philosophe,
D'un ton sévère l'apostrophe
En lui disant loin d'ici, malheureux ! :
Ta voix aigre, tes cris affreux,
Troublent la paix dans cet asyle ;
Ta présence est plus qu'inutile ;
Va, porte ailleurs, crois-moi, ton ramage ennuyeux.
Le geai lui répondit : quelle mouche vous pique ?
De quel droit voulez- vous que je quitte ces lieux ?
Je suis chez moi, dans ce canton rustique ;
Si mes cris pour vous sont fàcheux,
La nature jugea qu'ils m'étaient nécessaires ;
Je m'entretiens avec mes chers confrères ;
Nous habitons ces vallons, ces côteaux ;
Nous n'allons point dans vos châteaux,
Vous étourdir par notre caquetage ;
C'est pourquoi, si notre langage
Vous déplaît tant, abandonnez nos bois :
Depuis le Gange jusqu'au Tibre,
Vous savez qu'on l'a dit cent fois,
Chacun chez soi doit être libre.

Livre II, Fable 11




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