Par un revers de sentiment
Une actrice peut bien ne point avoir d’amant :
A la rigueur ce n’est pas impossible;
Mais une actrice peut avoir un cœur sensible
Auquel il faut alors un dédommagement.
Un perroquet, pour l’ordinaire,
Devient le compagnon chéri
D’une existence solitaire
Qu’a flétrie un injuste oubli.
C’est un confident, un ami,
Qu’on instruit à dire : « Je t’aime; »
Qui charme par sa grâce extrême
Et n’est pas fidèle à demi.
Lucinde, sans cesse applaudie
Au théâtre et dans son boudoir,
De maint amant était suivie
Et néanmoins avait, afin de tout prévoir,
Un perroquet sur son perchoir.
Chaque matin, avec exactitude,
Elle lui donnait sa leçon,
Et successivement ils mettaient à l’étude
D’un nouveau soupirant et le titre et le nom.
Le perroquet était le répertoire
De ses éphémères amours :
Mais sa trop fidèle mémoire,
Obstinément s’exerçant à rebours,
Enfin tourna mal à sa gloire.
Quand Jule était présent, l’oiseau malencontreux
Vantait monsieur Alfred ou bien monsieur Gustave;
Devant ceux-ci, d’un air capable et grave.
Il proclamait d’autres rivaux heureux.
Lucinde, embarrassée, enrageait en son âme;
Mais son habileté de femme
Ne put, comme l’on dit, trouver la pièce au trou.
Le coup était porté. Les amants désertèrent;
En désertant, les ingrats lui laissèrent
Son parleur et le droit de lui tordre le cou.

Bien dire est un mérite
Qu’offrent parfois les sots :
La chose la mieux dite
N’est rien sans l’à-propos.

Contes, fables et poésies, 1864




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