La chatte et le Perroquet Eugénie et Laure Fiot (19ème siècle)

On dit que la vengeance est le plaisir des dieux.
Cela se dit par ironie.
Rien, en effet, est-il plus odieux,
Plus naturel à humaine folie,
Et moins digne de Jupiter ?
La vengeance est tourment d'enfer,
A n'y tenir, à ne pas vivre,
Jusqu'au moment où l'on s'y livre ;
Puis, quand elle a lancé ses coups,
Elle revient tomber sur vous.
Un gentil perroquet, une chatte assez sage,
S'étaient juré tous deux, à la vie, à la mort,
De vivre en un parfait accord,
En faisant toujours bon ménage.
Ils étaient liés d'intérêt,
S'ils ne l'étaient de caractère.
Certains vols que Minette fait,
Vert-Vert sait sagement les taire ;
Et Minette, à son tour, cache de gros jurons
Qui, défendus par sa maitresse,
Feraient perdre à Vert-Vert ses soins et sa tendresse.
Ils sont heureux !... Mais nous verrons
Que le bonheur est peu durable,
Surtout lorsque l'on est coupable.
Le tournebroche, un jour, marchait au coin du feu,
Et, dans son cylindrique jeu,
Y promenait perdreaux et caille,
A les voir, Minette tressaille,
Et suit dans son ravissement,
Assise là, devant la broche,
Tous les tours du gibier révolus lentement,
Sa patte s'étend, puis s'approche,
Y touche et se secoue, en sentant la chaleur.
Le perroquet rit de bon cœur,
A force d'y toucher, la caille se détache ;
Elle est prise, sans qu'on le sache,
Emportée et mangée aussitôt dans un coin,
De ce larcin Vert-Vert seul est témoin ;
Il doit protéger son amie.
Mais bientôt, la chatte trahie
Par ses trop indiscrets propos,
Reçut des coups chargé son dos.
« Vengeance! se dit-elle. Oh ! coquin, foi de chatte,
Tu ne mourras que de ma patte. »
La voila donc, doublant ses maux,
Qui se maigrit et se tourmente,
Ne mange plus et ne dort pas ;
Dans sa vindicative attente,
Rôt, pour elle, n'a plus d'appas !...
Minette aurait plus davantage
Si, toujours généreuse et douce, en ses transports,
Elle savait, par de nobles efforts,
Se venger de Vert-Vert et de son bavardage,
En faisant le bien pour le mal !...
Mais, suivant son instinct fatal,
Elle cherche partout sa belle,
Pour attaquer l'ancien ami...
Un soir qu'il était endormi,
Elle vint le frapper de sa griffe cruelle,
Dans la cage qui le recèle.
La cage alors tombant sur elle,
De deux clous assez haut plantés,
Minette eut la patte cassée.
Pour prix de ses méchancetés,
Elle fut sans pitié lancée,
La pierre au col, au fond de l'eau :
La vengeance ouvrit son tombeau.

Fables nouvelles, Livre IV, Fable 1, 1851




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