Avant moi La Fontaine a dit avec justice :
« Rien n’est plus dangereux qu’un imprudent ami. »
Son ours ne prouve pas cette thèse à demi ;
Et, pour qu’à cet égard nul doute ne surgisse.
Je vais citer encor l’exemple que voici.

Un charlatan tout plein d’audace
(Comme ils le sont communément)
Proclamait, en musique, au coin de chaque place,
Qu’il guérissait le bégaiement
En peu de temps, et radicalement.
Il ne manquait pas d’éloquence,
Mais il manquait d’un brevet de docteur
Qui mieux que le succès eût prouvé sa science.
La loi sur ce cas-là prononce avec rigueur;
On le poursuit. Soigneux de son honneur.
Au jour marqué pour l’audience,
Il requiert ses clients de prendre sa défense.
Cent paysans, venus de tous côtés,
À son appel remplissent le prétoire,
Se promettant, par leur zèle emportés,
Une indubitable victoire. Le magistrat abasourdi
En élevant la voix ordonne le silence :
« Vous bégayiez? leur dit-il…— O…U…I,
Répond l’un d’eux ; mais Mo…ossieu m’a…a… guéri. »

Le fait se trouvant éclairci,
Le délinquant, au lieu d’un arrêt d’innocence.
Eut la prison pour récompense;
Et voilà ce que c’est que d’avoir un ami.

Contes, fables et poésies, 1864




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