Ces deux divinités, par quelque peccadille,
Par quelque mot malicieux,
Avaient mécontenté le souverain des dieux.
Leur titre de fils et de fille
Avait fort aggravé le fait séditieux.
Jupiter ne plaisante guère :
Un mouvement de son sourci
Avait prononcé leur exil
Les voilà tous deux sur la terre
Obligés de gagner leur pain.
Apollon dit : « Je me fais médecin,
De plus, professeur d’éloquence.
Avec ces deux talents on brave l’indigence.
Car on se rend utile à tout le genre humain. »
Sa sœur avait non moins de confiance :
« Les miens, dit-elle, en notre désarroi,
Ne sauraient pas non plus manquer d’emploi.
Des préjugés implacable ennemie,
Je vais montrer comme on s’en garantit;
J’initierai le monde à la philosophie,
Ce guide si sûr de l’esprit;
Enfin je serai, moi, le médecin des âmes,
Près duquel accourront les hommes et les femmes.»

Cela dit, et comptant tous deux sur le succès,
Ils cherchent un lieu propre à leurs communs projets.
Une baraque au milieu d’une place
En fit l’affaire. En habit chamarré,
Du haut de son tréteau, par la foule entouré,
Apollon, secondé par un joyeux paillasse,
Fait rage pour vanter les remèdes nouveaux
Avec lesquels il guérit tous les maux.
« Voici, dit-il, l’eau balsamique
Qui renforce la vue et calme la colique;
Cette autre a la vertu, malgré les envieux,
De prévenir la chute des cheveux;
Ma poudre pour les dents est chose merveilleuse;
Et ma pommade enfin, qui d’un gros cuir tanné
Fait, comme par miracle, un tissu satiné.
L’occasion pour vous est vraiment précieuse :
Plus de toupets, messieurs, plus de faux râteliers.
Plus de rides surtout; car, dans mes ateliers,
Je refais l’homme a neuf. Par l’homme il faut entendre
Toute l’humanité; nul ne peut s’y méprendre.
Accourez tous, je donne tout gratis,
Hors l’enveloppe : elle est à juste prix. »
Ce discours cloquent fit un effet magique.
Mille bras sont tendus; mille voix, par des cris,
Acclament l’empirique,
Et font en un instant rafle sur sa boutique.
Chacun croit dans sa poche emporter la santé
Et la laideur avoir acheté la beauté.

Cependant au revers de cet enclos rustique
Pallas tenait école. Elle avait beau crier :
« Venez à moi, j’enseigne la sagesse,
Par moi les passions apprennent à plier;
A la saine raison je ramène sans cesse
Ceux qui voudraient en dévier ;
En son essor j’arrête le caprice,
Je corrige l’entêtement,
Et je trouve un tempérament
A tout défaut comme à tout vice. »
C’était la voix dans !e désert.
Personne ne venait et, comme de concert,
On voulait bien embellir son visage ;
Mais pour savoir agir selon le cas offert.
Nul ne se croyait trop peu sage.

Contes, fables et poésies, 1864




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