Apollon, Minerve et les Médecins Antoine Houdar de La Motte (1672 - 1731)

Fontenelle, grand maître et de prose et de rime,
De qui l’esprit contient tous les esprits,
Et qui, doué d’une raison sublime,
Ne l’as point aux dépens des grâces et des ris :
Je traite dans ces vers la science commune
Que personne n’apprend, que chacun croit savoir,
La morale ; et de peur qu’elle soit importune,
Sous des voiles riants je la fais entrevoir.
Tu sais à fonds cet art qu’à peine l’on effleure.
Avant de t’élever aux spéculations,
Tu t’étais muni de bonne heure
Du principe des actions.
Prononce donc sur mes allégories ;
Juges-en sans appel le fonds et le détail :
C’est à tes lumières chéries
Que je soumets tout mon travail :
Non pas qu’en tout j’espère gain de cause ;
J’aurai tort en plus d’un endroit.
Ici la rime souffre, et plus loin c’est la chose ;
Je n’irai pas peut-être à mon but assez droit ;
Parfois un mot intrus d’un autre tient la place,
Et quelquefois le tour est vicieux ;
Tantôt trop de faiblesse, et tantôt trop d’audace ;
Même, où j’aurai bien fait, j’aurai manqué le mieux.
Mais quoi ! Ne sasi-tu pas quelle espèce est la nôtre ?
Chacun de ses talents a beau s’enorgueillir :
Dès qu’on est homme, il faut faillir,
Et je suis homme en cela plus qu’un autre.
Apollon et Minerve étaient bannis des cieux.
Pour quel sujet ? Cela n’importe ;
Passons-nous-en ; le souverain des dieux,
Quand tel est son plaisir, met les gens à la porte :
On obéît, faute de mieux.
Que faire, dirent-ils ? Sevrez de l’ambroisie
Il faut chez les mortels aller gagner sa vie.
Moi, dit le dieu, je sais un bon métier.
J’ai bien aussi le mien, répondit la déesse.
Ils firent choix d’une ville de Grèce,
Et s’établirent là, chacun en son quartier.
Apollon se fit empirique ;
Guérissait tous les maux du corps ;
Des organes usés rajustait les ressorts ;
Pour chaque maladie avait un spécifique.

Quant à Minerve, elle exerçait
Une plus haute médecine ;
C’était l’âme qu’elle pansait ;
En extirpait le mal jusques à la racine.
L’homme est ami du style charlatan :
Bien le savoit la prudente déesse.
Elle l’affecta donc, et comme orviétan,
Elle débitait la sagesse.
Son affiche portait en caractères d’or
Qu’à son art souverain rien n’était incurable.
Que l’on m’amène un scélérat, un diable,
Quelque chose de pis encor ;
Je vous le rends blanc comme neige ;
Je vous le guéris net d’un seul trait d’élixir :
Au sortir de chez moi les vertus en cortège
Marcheront sur ses pas ; il n’aura qu’à choisir.
Je vous redresse un esprit gauche ;
Je vous nettoie un cœur gangréné de débauche ;
Fièvre d’ambition, au feu toujours nouveau,
Avec redoublement et transport au cerveau
Mensonge continu, malice invétérée,
Avarice désespérée,
Tous les vices en un monceau,
Je m’en joue, et cent fois j’ai fait semblables cures.
Et n’allez pas penser que ce soient impostures :
Usez de mon remède, et je n’en veux le prix
Que de ceux que j’aurai guéris.

Apollon faisait mieux, on le payait d’avance ;
Avant la guérison il vendait l’espérance.
Cependant tout courait chez le dieu médecin ;
Surchargé de pratique, il prenait davantage ;
La foule en augmentait ; on eût tout mis en gage,
Plutôt que de manquer le remède divin.
Il fut riche bientôt, comme un homme d’affaire,
Et Minerve n’étrenna pas.
Les maux du corps font tout notre embarras :
Ceux de l’âme n’importent guère.

Livre IV, fable 12






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