Apollon, Mercure et le Berger Antoine Houdar de La Motte (1672 - 1731)

L’homme est ingrat ; c’est son grand vice.
Comme une grâce il sollicite un bien ;
L’a-t-il reçu ? Ce n’est plus que justice ;
On a bien fait ; il n’en doit rien.
Place-t-on un nouveau ministre ?
Il faut pour ses flatteurs agrandir son palais.
Des grâces, des trésors n’a-t-il plus le registre ?
Une solitude sinistre
Fait déserter jusques à ses valets.
La foule se presse où l’on donne ;
Mais où l’on a donné, l’on ne voit plus personne ;
Je plaindrais un vendeur d’encens
Qui n’en débiterait qu’aux cœurs reconnaissants.
On a tort ! Les plaisirs que l’on daigne nous faire
Doivent être payés du cœur ;
Et c’est voler son bienfaiteur
Que lui retenir ce salaire.
Mais nous, sans intérêt obligeons les humains.
Que l’honneur de servir soit le prix du service.
La vertu sur ce point fait un tour d’avarice ;
Elle se paye par ses mains.
L’obligeant Apollon et le malin Mercure
Un jour firent une gageure.
On m’adore pour ma bonté,
Disait l’un : moi pour ma malice,
Disait l’autre ; et je suis le plus accrédité.
Faisons un peu l’essai de nôtre autorité !
Qui de nous obtiendra le premier sacrifice,
Aura le pas sur l’autre. On conclut le traité.
Apollon voit alors un berger dans la plaine,
Qui du son de sa flûte éveillait les échos.
Il lui fait sous ses pas rencontrer une aubaine ;
C’est une pierre où sont écrits ces mots :
Ici gît un trésor qu’Apollon te décèle.
Est-il possible ! ô cieux ! S’écria le berger.
Il renverse la pierre et la trouve fidèle.
Riche trésor. L’envisager,
Le tirer, le compter ce ne fut qu’une affaire.
Il songe en le comptant à ce qu’il en peut faire.
Il achètera tout ; terres, forêts, châteaux ;
Rien de trop cher avec si grosse somme.
Adieu donc mes pauvres troupeaux ;
Le bon Guillot n’est plus vôtre homme.
Tandis qu’ainsi le pâtre, ivre de son trésor,
Laisse égarer ses yeux et sa pensée ;
Le dieu malin enlève l’or.
Il ne faut à ce dieu qu’un instant, moins encor ;
Toute la somme est éclipsée.
L’œil de Guillot revient. Plus d’argent. Justes dieux !
Était-ce un songe ? Non. Je veille ; j’ai des yeux ;
Voilà le trou ; voilà la pierre renversée.
Il y voit en effet ces autres mots écrits :
Apollon te le donne, et Mercure l’a pris.
Ciel ! Mercure l’a pris ! ô disgrâce mortelle !
Voilà bon Guillot à genoux.
Prenez pitié de moi ; Mercure calmez-vous,
Je vais vous immoler ma brebis la plus belle.
Il le dit ; il le fait ; et les larmes aux yeux,
Allume le bucher, y met la pauvre bête.
Mercure en rit du haut des cieux,
Et sans songer à signer sa requête,
S’écria, j’ai gagné. Qu’il nous connaissait bien !
Intérêt obtient tout ; reconnaissance rien.

Livre II, fable 10






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