Deux chats avoient pris un fromage,
Et tous deux à l’aubaine avoient un droit égal.
Dispute entre eux pour le partage.
Qui le fera ? Nul n’est assez loyal.
Beaucoup de gourmandise et peu de conscience ;
Témoin leur propre fait, le fromage volé.
Ils veulent donc qu’à l’audience,
Dame justice entre eux vide le démêlé.
Un singe maître clerc du bailli du village,
Et que pour lui-même on prenait,
Quand il mettait par fois sa robe et son bonnet,
Parut à nos deux chats tout un aréopage.
Par devant dom Bertrand le fromage est porté,
Bertrand s’assied, prend la balance,
Tousse, crache, impose silence,
Fait deux parts avec gravité ;
En charge les bassins ; puis cherchant l’équilibre,
Pésans, dit-il, d’un esprit libre,
D’une main circonspecte ; et vive l’équité,
Ça ; celle-ci me paraît déjà trop pesante.
Il en mange un morceau. L’autre pèse à son tour ;
Nouveau morceau mangé par raison du plus lourd.
Un des bassins n’a plus qu’une légère pente.
Bon ! Nous voilà contents, donnez, disent les chats.
Si vous êtes contents ; justice ne l’est pas,
Leur dit Bertrand ; race ignorante
Croyez-vous donc qu’on se contente
De passer comme vous les choses au gros sas ?
Et ce disant, monseigneur se tourmente
À manger toujours l’excédent ;
Par équité toujours donne son coup de dent ;
De scrupule en scrupule avançait le fromage.
Nos plaideurs enfin las des frais,
Veulent le reste sans partage.
Tout beau, leur dit Bertrand ; soyez hors de procès ;
Mais le reste, messieurs, m’appartient comme épice.
À nous autres aussi nous nous devons justice.
Allez en paix ; et rendez grâce aux dieux.
Le bailli n’eût pas jugé mieux.

Livre II, fable 11






Commentaires