Fin des Lapins Jean Héré (1796 - 1865)

Les plus braves toujours sont les plus généreux.

Ayant signé la paix entre eux
Après une guerre cruelle,
Les lapins, devenus amis,
Sur leur honneur s'étaient promis
Une amitié franche, éternelle ;
Éternelle est le mot en cette occasion,
Ce qui n'empêche pas la moindre infraction
Quand un prétexte se présente.
Dans la circonstance présente,
Chacun parut de bonne foi,
Et promit de rentrer chez soi,
En laissant chaque lapinière
Se gouverner à sa manière.

Ce dispositif du traité
Fut strictement exécuté
Par ceux qui les premiers aux combats s'élancèrent ;
Mais les autres se ravisèrent.
- En ces lieux, dirent-ils, nous avons été mis
Pour surveiller les ennemis,
Les éloigner, sans employer la force ;
Aussi n'avons-nous pas brûlé même une amorce ;
Cela devait nous convenir.
Si nous nous en allons, ils pourront revenir ;
Il faudra de nouveau d'ici qu'on les repousse ;
Ce serait à n'en pas finir.
Pour sauvegarder l'avenir,
Restons ; pour des lapins la surveillance est douce
Partout où le serpolet pousse.
Nous en broutons d'excellent par ici ;
Nous nous trouvons bien, restons-y.
Protégeons nos amis en faisant bonne chère.

Mais ceux sur qui porta tout le poids de la guerre
Ne l'entendirent pas ainsi.
- Si nous sommes partis, vous partirez aussi :
Ce n'est pas, après tout, veuillez le reconnaître,
Pour que notre allié ne changeât que de maître,
Que nous avons livré de si rudes combats ;
C'était pour qu'il fût libre ; il ne le serait pas,
Si chacun s'installait chez lui l'un après l'autre.
Si toujours pour le protéger,
Il lui fallait quelque étranger,
Ce n'était certes pas la peine de changer.

Sur notre procédé, messieurs, réglez le vôtre.
Nous avons les premiers évacué ces lieux ;
Veuillez donc en sortir en amis généreux
Et prudents à la fois, car vous devez bien croire
Que nous ne perdrons pas le fruit de la victoire,
Que vous ne rendrez pas nos soins infructueux,
Qu'au lieu d'un protecteur nous n'en voulons pas deux.
Vous craignez de nouveau que l'ennemi ne vienne ;
Et vous restez ici, dites-vous, tout exprès ?
Que cela plus longtemps, messieurs, ne vous retienne ;
On nous craint plus de loin qu'on ne vous craint de près.
Rentrez chez vous d'abord, puis nous verrons après.
Avant de soupçonner la bonne foi d'un autre,
Donnons l'exemple de la nôtre. -

À ces mots nos braves amis,
Voyant que nul retard ne leur est plus permis,
Se retirent tout fiers d'avoir monté la garde
Jusqu'à ce que des ennemis
Au loin ait disparu la dernière cocarde.

Bon voyage, amis, Dieu vous garde.

Et vous, lapins, dans vos malheurs,
Défiez-vous des protecteurs ;
À vos dépens vous devez reconnaître
Qu'un protecteur est plus ou moins un maître.

Livre III, Fable 3


Daté de Janvier 1857.

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