Chez les anciens on voit du bon,
Même dans une république ;
Témoin cette loi de Soton
Qui, dans toute émeute publique,
Voulait que chacun, averti,
Se prononçât pour un parti,
Afin qu'intervenant, la majorité sage
Au bon droit donnât l'avantage.
On n'avait point alors, par bonheur, inventé
Le système bâtard de la neutralité,
Parti commode, en vérité,
Et qui consiste à ne rien faire
En ménageant chaque adversaire,
Attendant pour agir aussi
Que l'un des deux ait réussi.
Nous avons vu qu'un lapin plein de zèle
Pour l'intérêt de la terre et des cieux,
A ses voisins cherchait souvent querelle
Pour se rendre maître chez eux.
Sous la force courbant la tête,
Ceux-ci lui cédaient pas à pas,
Pour échapper à sa conquête,
Quelques lambeaux de leurs états.
Dans cette marche rétrograde,
Chacun pouvait déjà très-bien
Prévoir quand il n'aurait plus rien.
Heureusement un camarade,
Qui régnait aux pays lointains,
Vint au secours de nos lapins.
- Ce n'est pas, dit-il, sans combattre
Que l'on éloigne le danger ;
Cédez un pied, on en prend quatre,
Ce qu'on mange excite à manger ;
C'est dans notre humaine nature ;
En politique ainsi qu'en nourriture,
Ce qu'on prend petit à petit
Ne fait qu'aiguiser l'appétit.
Changez, amis, votre système ;
Voulez-vous être indépendants ?
A l'ennemi montrez les dents.
Pour vous je combattrai moi-même
Avec d'intrépides soldats,
L'élite de la gent lapine.
Nous aurons aussi ma voisine,
Reine de trois puissants États.
Comptez sur moi, comptez sur elle
Pour vous délivrer du danger.
De l'ennemi tous deux nous attaquerons l'aile,
Tandis que, sans vous déranger,
Placés au centre de bataille,
Vous repousserez l'étranger,
En frappant d'estoc et de taille. -
Ce plan à l'unanimité
Par les lapins est adopté.
Les bataillons du camarade,
Soudain dans leur terrible élan,
Prenant l'ennemi par le flanc,
Le mettent en capilotade ;
Puis, par d'héroïques efforts,
Après un an de canonnade,
Prennent Lapinpol et ses forts.
Pendant ce temps regardant faire,
Les centriers, tous l'arme au bras,
En avant ne font aucun pas,
Tandis que l'on fait leur affaire.
Mettant leurs griefs en oubli,
Ils n'ont plus de casus belli,
Offrent à la commune entente
Leur neutralité bienveillante.
Le grand ordonnateur ne l'entend pas ainsi.
-
Nous avons combattu ; vous combattrez aussi,
Avec ou contre nous ; cet avis est le nôtre.
Notre tâche est finie ; il nous reste la vôtre ;
Eh bien ! nous la ferons, s'il le faut ; mais alors,
Nous vous passerons sur le corps ;
C'est là notre chemin, je n'en connais point d'autre. -
Les neutres à ces mots sentent se ranimer
Un peu de leur instinct guerrier.
Ils n'ont plus, après tout, à craindre de défaite ;
La besogne est au trois quarts faite.
Faisant un généreux effort,
Accompagné d'une grimace,
Ils osent adresser au grand lapin du Nord
Ces paroles pleines d'audace ;
- Veuillez, prince, rentrer chez vous ;
De tous côtés on nous menace ;
Rentrez, sinon, bien malgré nous,
Nous nous verrons forcés de vous combattre tous.-
À ce discours l'autocrate sensible,
Dissimulant un dépit trop visible,
Leur répond : Il fallait me le dire d'abord ;
Je n'aurais pas perdu mes soldats et mon or
Dans une entreprise impossible.
Adieu ; plus tard, amis, nous nous verrons encor. -
Daté de Février 1856.