Mes derniers Lapins Jean Héré (1796 - 1865)

Nos fiers lapins victorieux,
Revenus d'un lointain rivage,
A peine étaient rentrés chez eux,
Qu'un autre peuple malheureux,
Pour s'affranchir d'un vil servage,
Venait de leur bouillant courage
Réclamer l'appui généreux.

Ce peuple qui soumit la terre,
Dont tout citoyen était roi,
D'une nation étrangère
Maintenant subissait la loi,
Et de sa fortune première
Le souvenir doublait l'affront
Sous lequel il courbait le front.

Relève-toi, peuple de braves ;
Ton éclat te sera rendu ;
Nos lapins qui t'ont entendu,
Accourent briser tes entraves.

Les voilà tes vengeurs armés pour les combats ;
Sous leurs pas empressés vois voler la poussière ;
On dirait que leur chef, du pied frappant la terre,
En fait sortir d'innombrables soldats !

Les voilà ; reconnais à leur course rapide
Ces lapins que jamais nul danger n'effraya.
Arme-toi, va te joindre à leur troupe intrépide ;
Aide-toi, le ciel t'aidera.

Tel que le vent de la tempête
Disperse en un instant les feuilles des forêts
Qui couvrent les guérets ;
Tels nos lapins que rien n'arrête,
Frappent et chassent devant eux
Les ennemis nombreux
Qui cherchaient à leur tenir tête.

Un ennemi vaincu n'est plus un ennemi.
Le combat à peine est fini,
Que, déposant toute colère,
Le vainqueur, terrible naguère,
Du vaincu redevient l'ami,
Et lui dit, le traitant en frère :
- Maintenant qu'est atteint le but de cette guerre,
Vivons en paix, embrassons-nous ;
Mais désormais restez chez vous. -

Oui, oui, vivez en paix ; que ce soit votre gloire ;
A vos discordes mettez fin ;
Car, sans nécessité, la plus belle victoire
Ne vaut pas le sang d'un lapin.

Livre III, Fable 4


Daté de Novembre 1859.

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