— Grands Dieux, que je l'échappe belle,
Oh ! qu'au destin je dois une bonne chandelle !
S'écriait un jeune lapin
Rentré tout haletant au logis souterrain :
Oui, mes amis, si je n'avais bien vite
Su prendre habilement la fuite,
Oui, pour toujours c'en était fait de moi !
Un monstre affreux (j'en tremble encor d'effroi),
A failli me happer, m'avaler tout-à-l'heure.
Il est ici près de notre demeure,
Non loin de ce gros chêne au sommet décrépit
Où ce geai si criard l'an dernier fit son nid.
La lune l'éclairait ; son corps et sa ligure
Sont tout noirs ; sur sa tête il élève des bras
Dont la longueur, je vous le jure,
Est telle qu'ils pourraient, je n'exagère pas,
D'ici de ce logis atteindre au moins la porte.
L'assistance, à ces mots, de peur à moitié morte,
Vite s'enfuit.
Au fond du ténébreux et tortueux réduit,
Cependant un lapin, d'une humeur moins poltronne,
Débouche près du lieu par un chemin secret,
Avance à pas de loup, s'arrête, puis tâtonne,
Distingue, voit enfin le monstrueux objet.
De retour il raconte, en se pâmant de rire,
L'incroyable motif de son joyeux délire.
A ce récit lapins d'accourir à l'instant,
D'aller voir l'horrible géant
Et d'y mener l'auteur de cette scène
Qui, tout confus, reconnaît aisément
Le sujet de sa peur : c'était l'ombre du chêne.

C'est ainsi qu'un poltron la nuit croit voir errer
Des fantômes toujours prêts à le dévorer.

Livre I, fable 5




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