Le grain de sable et la Citrouille Jean-Jacques Porchat (1800 - 1864)

Sur une digue, aux rives de Hollande,
Des fourmis avaient fait leur nid.
Quelqu’une à la mer descendit,
Et, dit-on, la trouva bien grande ;
Bref, un quart d’heure entier la besogne en souffrit.
Pour mettre à profit son voyage,
(Car si homme est actif, économe en ces lieux,
Que sera la fourmi, chez nous même si sage ?)
Pour tirer, dis-je, un fruit de son pèlerinage,
L’insecte aux flots amers en faisant ses adieux,
Enlève un grain de sable, au logis le voiture.
A peine elle eut gagné ses pénates joyeux,
Le flux vint selon sa mesure
Couvrir la place où n’était plus
Le grain de sable ci-dessus.
Oh ! d’un petit sujet conséquence terrible !
L’atome en soutenait un second, et voici
Qu’il avait en partant fait crouler celui-ci.
Ainsi de proche en proche une brèche visible
S‘ouvrit, et l'onde, sans retard,
Acheva l’œuvre du hasard.
Enfin elle triomphe, et la digue est percée,
Et dans les Pays—Bas voilà la mer lancée ;
La voilà qui commence à prendre son niveau.
Heureusement cette ouverture
N’était pas grande encor plus que votre chapeau.
Heureusement par aventure
Vint à passer un villageois
Qui très heureusement au marché cette fois
Portait une citrouille à vendre.
Il voit la chose, accourt sans plus attendre ;
Remonte à la source du mal,
Et consacre pour l’heure à la chose publique
Le fruit de son enclos rustique.
Il était de grosseur à fermer le canal.

A quoi tient le sort d’un empire !
Qui dira ce qu’un jour il en peut arriver,
Alors que nous voyons suffire
Un grain de sable à le détruire,
Une citrouille à le sauver !

Livre VII, fable 12




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