Qu'entends-je, et quel affreux vacarme
Agite encor le carrefour ?
Malheureuses cités, pas un jour sans alarme !
Cette fois des Chiens c'est le tour.
Hurlaut, Tayaut, Médor, tout un peuple en furie,
Devant une affiche ameuté,
Aboyaient à l'envi. « C'est une horreur, s'écrie
Démosthéne-Brifaut sur la borne monté.
Quoi, sur les contes bleus de quelque radoteuse,
Qui pense avoir vu quelque chien
Courir la tête basse et la bouche baveuse,
Bref, pour un commérage, un caquetage, un rien,
La police à nos gens preserit la muselière !
On nous met a l'index, et, sans autres façons,
Si la mâchoire libre encor nous paraissons,
On nous envoie à la rivière !
Et voilà de leur liberté!
Voila comme on rend la justice !
Ture ou Médor est suspecté :
Done il faudra que je périsse !
On nous dit enragés ?... Nous le serons bient6t.
On fait, corbleu, tout ce qu'il faut. »
La plébe, à cette philippique,
Hurlait de courroux frénétique.
Mon vieux Duc, honnéte et bon chien,
Voyant ce bruit, voulut en étre ;
Et plus fort que pas un criant de sa fenétre :
« Mes amis, crier n'y fait rien,
La chose est triste ; elle est bien dure.
Qu'y faire ? C'est la dictature.
Il est certains momens de tumulte et d'effroi,
0à le salut du peuple est la supréme loi.
Ce que j'en dis n'est pas du ndtre.
César, non pas le chien, mais l'autre,
A ses concitoyens le disait avant moi.
La rage est au pays ; elle est contagieuse ;
De proche en proche on est mordu ; l'on mord...
On meurt enfin... Et quelle mort !
Le baillon même est au prix chance heureuse.
Le baillon me déplait, mais s'il n'est accepté,
Je vais mesurer l'eau profonde.
Fréres,conservons-nous, pour étre de ce monde
Quand renaitra la liberté. »
Ainsi parlaient nos chiens, et »Dieu nous aide !
Leur entretien longtemps m'a fait rêver.
Ne saurait-on se préserver
Et de la rage et du remède ?