Un jeune roi, qu'au retour de la chasse
Un courtisan de vieille race
Avait dans son château noblement hébergé,
Au moment de prendre congé,
Lui dit : « Cher et féal, je veux de mon passage
Laisser à ton manoir un vivant témoignage :
Que par ma main royale un beau chêne planté
En porte la mémoire à la postérité. »
Le courtisan n'eut garde de lui dire
Qu'on était au mois d'août, et qu'en cette saison
Il ne planterait qu'un bâton.
Devant son maître il s'inclina sans rire,
De ses jardins appela l'intendant,
Fit creuser un grand trou, choisir le plus beau plant
Qu'eussent nourri ses pépinières,
Et l'offrant à son roi, lui dit : « Plantez, seigneur,
Jamais le château de mes pères
Ne reçut un pareil honneur. »
Par la royale main le chêne est mis en terre ;
Et le roi, maintes fois par an,
Demande au châtelain si son arbre prospère.
<< En douter, dit le courtisan,
Ce serait douter de vous-même.
Jamais arbre, seigneur, n'a pris un tel élan.
La nature obéit à votre loi suprême. D
Or, la nature au roi n'avait point obéi ;
Sous les feux de l'été son arbre avait péri.
Mais, avant que l'hiver sous son manteau de glace,
N'eût tout couvert, tout engourdi,
Mon flatteur avait mis un autre arbre à la place ;
Et tout le pays, sur sa foi,
Le nommait le chêne du roi.
Combien d'arbres pareils ont poussé dans l'histoire !
Mais ils ne sont pas tous formés du même bois.
Le mal s'y mêle au bien et la honte à la gloire :
Il n'est rien qu'on ne prête aux rois.
Et quand je dis les rois, je dis tous personnages,
Puissances de tous les étages,
Que chacun trompe et flatte et décrie à la fois.
L'histoire serait à refaire,
Mais les temps n'en sont point venus.
Si quelques vieux menteurs outrèrent les vertus,
Les menteurs d'aujourd'hui feraient tout le contraire.
On ne croirait pas aux Titus,
Et l'on calomnirait Tibère.