Deux écoliers, au sortir du collège,
Couraient, folâtraient dans les champs.
« Qu'on est heureux, délivrés des pédants,
Cessant, matin et soir, de former leur cortège,
Quand la cloche fatale, effrayés, sur les bancs,
Désormais plus ne nous appelle ;
Quand, avec une ardeur nouvelle,
Pour des plaisirs nouveaux on vit tous les instants ! »
Pendant leur course vagabonde
Ils philosophaient toutefois,
Et raisonnaient entre eux des choses de ce monde
Tout en racontant leurs exploits.
L'un d'eux sortant de rhétorique,
Descendu depuis peu des sommets d'Hélicon,
Hors du domaine poétique
Ne reconnaissait rien ni de beau ni de bon.
Son camarade avait fait sa logique,
De la raison il soutenait les droits,
A l'école polytechnique
Il aspirait déjà, disciple de Lacroix.
« Est- il rien au-dessus du calcul algébrique ?
Est-il de plus savantes lois ?
Newton pèse la terre et mesure à la fois
Le cours qu'elle décrit dans son orbe elliptique. »
Eh ! que m'importe à moi la route qu'elle suit ?
Ce n'est pas mon bras qui la guide.
Je veux de mes travaux retirer quelque fruit.
Que me servira l'art d'Archimède et d'Euclide ?
Mes efforts se consumeront
- A commenter maint profond théorème.
Être heureux, mon ami, voilà le vrai problème :
Les muses, conviens-en, bien mieux le résoudront. »
Lors, du jeune orateur la féconde éloquence
Du charme des beaux-arts peint la douce puissance,
Les succès du talent et le nouvel essor
Qu'au sein de la retraite il prend plus libre encor.
Nos amis, cependant, d'une forêt épaisse
Parcouraient les sombres détours ;
Une réflexion interrompt leur discours :
Il se fait tard, la faim les presse.
Mais Dieu ! comment retourner au logis ?
Ils se sont égarés. Notre orateur surpris
De tous côtés jette la vue,
Va, revient, en vain cherche une route connue.
« Vers quel point diriger nos pas ?
On peut, en avançant, s'égarer davantage ;
«Un guide viendra-t-il nous tirer d'embarras ?
« L'attendre, sans dîner, ne serait guères sage. »
Notre géomètre sourit.....
Près d'eux un chêne au ciel porte sa tête ;
Au milieu du gazon son ombre se projette ;
Sur la ligne qu'elle décrit,
L'Archimède nouveau, quelque temps, en silence,
Son bâton à la main, porte un œil scrutateur,
Du chêne observe la hauteur.
Mon ami, reprends l'espérance,
Suis - moi, dit -il ; seulement, cette fois,
Ayons soin, au travers du bois,
De suivre bien la droite ligne.
Si j'ai bien calculé, notre logis est là ;
En moins de temps, la route que j'assigne
Nous y conduit, qu'il ne s'en écoula
Depuis qu'en discourant avec toi je chemine. »
Ils vont, sortent du bois, s'élancent dans les champs,
Et courent heurter triomphants
À la porte de la cuisine.
Sans doute, mes enfants, l'imagination
De la bonté céleste est un précieux don ;
Mais dans les sentiers de la vie
On court le risque, avec cette étourdie,
De faire fausse route en mainte occasion.
Pour marcher ici-bas, d'un pas sûr et rapide,
Au but qui vous attend, prenez plutôt pour guide
Le flambeau de la raison.