Un écolier grillait d'envie
D'avoir... (de quoi semblable garnement
N'aurait- il pas envie à tout moment,
Cédant à chaque fantaisie ?)
Les vœux de celui-ci se portaient assez haut
«Une montre, tout bas disait-il en lui-même,
« Si j'avais une montre..... Oh ! quel bonheur suprême !
« Comme en ont les gens comme il faut ;
«Mais une montre véritable,
«A celle de mon père entièrement semblable,
« La chaîne aussi, les breloques surtout,
«Une montre, enfin, de bon goût. »
En croira- t-il ses yeux ? N'est - ce point un vain rêve ?
Il vient de recevoir le plus beau des présents.
Ivre de joie, il le tourne en tous sens,
L'ouvrant, le refermant sans relâche ni trêve,
Essayant si l'aiguille à son doigt obéit,
Sur la boîte appliquant une oreille attentive.
L'or qui brille à l'entour le charme et l'éblouit ;
Sa satisfaction devient toujours plus vive ;
Il ajuste la clef sur son pivot d'acier,
Des ressorts compliqués observe le mystère,
Et dans le mécanisme entier
Il n'est rien qu'il ne touche et qu'il ne considère.
« C'est bon, et rien n'y manque ; à l'avenir je vais
Savoir toujours l'heure précise ;
La cloche sonnerait en vain, je la méprise !
Ma montre seule doit me guider désormais. »
Sur la montre son œil avide
Guette déjà, le même jour,
L'heure qui du dîner amène le retour.
A table il court..... Mais, ciel ! quel mécompte perfide !
Du dîner, pas un zest ! Il faut rester à jeun !
Dans ce moment inopportun,
Un surveillant paraît : « Que n'êtes-vous en classe ?
A l'appel vous avez manqué.
D'un mauvais point votre nom est marqué.
Courez bien vite à votre place. »
La récréation, Monsieur ? »
- Vous plaisantez !
Quand on s'amusera, vous, s'il vous plaît, restez,
Payant par un pensum le tort de cette absence. »
Mais, ma montre ! voyez !..... je suis le règlement. »
Vous l'avez fait exprès ! Ah ! petit insolent !
« Vous méritez d'avoir une autre pénitence ! »
Notre écolier ne sait ce qu'il doit en penser.
Où suis-je ? tout ceci m'embête.
Chacun dans la maison a-t-il perdu la tête ?
Quel plaisir trouve-t-on à tout bouleverser ? »
Le soir l'étourdi reste à la salle d'étude
Et le sommeil sur lui s'appesantit,
Mais ce n'est point encor l'heure d'aller au lit.
D'une profonde solitude
Cependant il se voit enfin environné ;
Il promène à l'entour son regard étonné,
Il s'informe..... Pendant qu'il travaille et qu'il veille,
Dans le dortoir chacun déjà sommeille.
Ah ! c'en est trop ! ce jour qui promit le bonheur
Finit avec un peu d'humeur.
Le lendemain, d'un horloger il prie
Qu'on veuille bien lui montrer le séjour.
« Voici, dit- il, ma montre, elle est jolie,
Mais elle m'a joué, Monsieur, maint vilain tour.
- Franc étourdi, répond l'homme aux lunettes,
Vous ne savez ce que vous faites.
Votre montre !..... elle va comme votre cerveau.
Je vais la régler de nouveau.
De vos erreurs elle était innocente ;
En la touchant, votre main ignorante,
Jeune fou, de sa marche a dérangé le cours...
Allez, et payez-moi ce généreux secours. »
Le ciel, dans sa munificence,
Nous départit un bien riche instrument.
Cette brillante intelligence,
De l'humaine nature admirable ornement,
Qui, soumettant le monde à sa puissance,
Assigne à chaque chose et son temps et son but,
Sur l'avenir lui-même étend sa prévoyance.
Mais si de ce noble attribut,
Dans l'emploi qu'on en fait, le désordre s'empare,
Si, dans ses mouvements, indocile, il s'égare,
L'ivresse d'un instant, prompte à s'évanouir,
Dans nos regrets tout seuls imprimera sa trace.
Des biens dont nous pensions jouir
Un douloureux mécompte occupera la place.
Veux-tu prévenir ce danger ?
Fais des présents du ciel toujours un bon usage ;
Que la raison pour toi soit comme un horloger
Qui de tes facultés règle chaque rouage.
Que sert d'être savant à qui, surtout, n'est sage ?