L'Horloge et la Montre

Pierre-Louis Ginguené (1748 - 1816)


Au plus haut d'un clocher s'élevait une Horloge,
Dont le cadran menteur, chancelant dans sa loge,
Et l'aiguille inconstante en son cours arrondi,
Confondaient le matin, le soir et le midi.
De son carillon faux elle offensait l'oreille :
Les passants murmuraient, et d'un ton peu flatteur
Disaient : Vit-on jamais de patraque pareille ?
On ne sait à quelle heure on s'endort, on s'éveille :
Elle nous fait manquer le prône du Pasteur,
Et tous nos rendez-vous d'amour et de bouteille.
Le quartier était en rumeur ;
On traitait le cadran de fou, de radoteur,
Et le carillon d'imposteur.
L'Horloge avec dépit écoutant ces murmures,
N'en allait que plus mal : c'est l'effet des injures.
Le parti pris enfin fut de la déloger :
De sa tour on l'enlève, et chez un horloger
On la place : on veut voir si l'art, si la science,
Du rouage incertain corrigeant la licence,
Et donnant à l'aiguille un cours plus régulier,
Peut avec le soleil la réconcilier.

Chez l'Artiste savant, ma folle se rencontre
Avec une folle de Montre,
Qui, comme elle, n'allait que par sauts et par bonds.
On veut aussi régler ses ressorts vagabonds ;
Mais personne au dehors, non plus qu'en la boutique,
Étranger, passant ou pratique,
Ne vient l'apostropher de noms injurieux.

À l'ouvrier industrieux
L'Horloge se plaignit : Je sais bien que je sonne
À contre-sens, dit-elle, et qu'avec mon cadran
Je ne m'accorde pas douze fois dans un an ;
Mais cette Montre-ci comme moi déraisonne,
Et pourtant on ne lui dit mot :
C'est moi seule dont on se raille,
Qui suis en butte au peuple sot,
Et qu'ose insulter la canaille.

Ma chère, ils ont raison, repartit l'Horloger,
Celle-ci du public n'est point la conseillère :
D'un seul maître elle fait la règle journalière ;
C'est pour lui seul qu'est le danger.
Mais vous, aux yeux de tous vous allez vous loger ;
Vous sonnez pour tous à la ronde :
Vos erreurs trompent tout le monde ;
Tous ont le droit de s'en venger.

À tout hableur public cette Fable s'adresse ;
À vous, Hauts et puissants Seigneurs,
Qui du sommet de vos grandeurs,
Échos des bruits de Cour, ou les forgeant sans cesse,
Aimez à nous berner par de fausses rumeurs ;
Avous, gens de parti, fanatiques auteurs,
Avous dont la piété feinte
Annonce la vérite sainte
Et ne répand que des erreurs ;
Avous, à vous surtout, trop fameux Journalistes !...
Mais vais-je ici dresser des listes
De tous les carillons non moins faux que bruyants ?
J'en aurais pour une heure entière :
Ma montre m'avertit que sur cette matière
J'ai moralisé trop longtemps.

Fable 4




Commentaires