Le Marchand et l'Horloge Fleury Donzel (1778 - 1852)

Le soleil, en faisant sa ronde,
Avait déjà passé par le milieu du monde,
Et courait, à pas de géant,
Chercher les humides demeures
Du profond et vaste Océan.
Bref, il était près de deux heures.
On était au mois d'août. Un marchand colporteur,
Sous sa balle suant, accablé de chaleur,
Gagnait un de ces lieux où l'on héberge et loge
Tout ce qui se présente, excepté l'indigent
Qui n'y peut laisser de l'argent.
Entré qu'il est, notre marchand
Entend tout près de lui l'Horloge
Frapper midi de ses marteaux.
Tais-toi, lui cria-t-il, impudente, menteuse ;
Tais-toi, mais non, attends : cette canne noueus<
T'aura bientôt mise en morceaux.
Tu n'abuseras plus le voyageur crédule.
A ces mots, il levait le bras.
Un moment, répond la Pendule :
Ecoute, et puis tu frapperas.
Pour débiter ta marchandise,
Toi-même ne mens-tu jamais ?
Aucuns le trouvent-ils mauvais ?
Est-il besoin que je te dise
Que les gens, pour leurs intérêts,
A mentir sont toujours tout prêts ?
Laisse-moi donc sonner en paix.
A table vas l'asseoir : mange et bois à ton aise :
Mieux qu'à me quereller, tu passeras le temps.
Notre homme, à ce discours, s'apaise.

L'Horloge avait raison. Le monde est plein de gens
Qui se font, de tromper, habitude et science :
Ils savent, par expérience
Que c'est, de réussir, souvent un bon moyen.
Je le sais tout comme eux, et je me promets bien
De déguiser aussi la vérité que j'aime,
Quand pour moi le suprême bien
Ne sera plus de vivre en paix avec moi-même.

Livre I, fable 10




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