Le Noyau de pêche Joseph-Marie de Gérando (1772 - 1842)

Certain gourmand parcourait un matin,
Non sans quelque intérêt, un fertile jardin.
Il observait des fruits la récolte pendante ;
Il caressait, de l'œil, leurs contours gracieux,
Humait l'atmosphère odorante
Qui se répandait autour d'eux,
En connaisseur rempli d'expérience,
Tour à tour les jugeait, les savourait d'avance.
Quelquefois, cependant, d'un fruit bien mûr à point
Il fait l'essai réel, car la seule espérance
A mon gourmand ne suffit point.
Il met dans le présent un peu sa jouissance.
Une pêche a frappé ses regards, ses esprits ;
Il admire l'éclat de sa robe pourprée ;
Il la saisit, la goûte... « Oh ! quel parfum exquis !
Comme elle est fondante et sucrée !
Quel céleste nectar découle de son sein ! »
Il fait durer le plaisir un quart d'heure,
Réfléchit gravement, répétant son refrain :
« Oh ! l'excellente pêche ! » Immobile il demeure,
De son bonheur tout ébahi,
Jette le vil noyau dont il n'a nul souci.
Le jardinier, non loin de là, qui pioche,
Observait cependant notre sire... il s'approche :
Ce noyau que rejette un superbe dédain,
Il le ramasse et l'emporte à la main.
« - Brave homme, qu'en veux- tu donc faire ?
- Si mon pêcher, Monsieur, a su vous plaire,
Je veux lui préparer un digne successeur
Qui puisse mériter aussi le même honneur.
Vous vous promenez... bien : quant à moi, je travaille ;
C'est ma manière de jouir.
A mes yeux, il n'est rien qui vaille,
S'il ne dure et ne germe aussi pour l'avenir. »

Qu'une âme frivole et légère
Goûte dans un prix remporté
La jouissance passagère
Qui seulement flatte la vanité ;
D'un travail assidu la juste récompense
Est une féconde semence
Qui dans des prix nouveaux doit se multiplier :
C'est le noyau du jardinier.

Livre II, Fable 15




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