Comme la cigale vivant,
Que de gens au hasard livrent leur existence
Et, sans souci du jour suivant,
Narguent dans le prochain tout fait de prévoyance.
Avec délice un jeune gars,
Croquant pour son goûter maintes belles cerises,
Dépouillés de leur chairs exquises
En jetait les noyaux épars.
Un Vieillard passe,
Voit les noyaux et les ramasse
Aux yeux de l'Enfant qui se rit,
Puis en son champ les enfouit
Et l'un de l'autre avec soin les espace.
Le même Enfant deux ans plus tard
Taillant des arbrisseaux voit le même Vieillard ;
— « Pourquoi tant de labeur, bonhomme ? »
Dit notre gars en ricanant.
— « Tu l'apprendras du temps. » Tels sont en somme
Les mots quelque peu brefs repartis a Enfant.
Le Vieillard sait qu’a cervelle éventée
Toute leçon donnée est leçon avortée.
Un lustre a peine est révolu,
L’Enfant, jouvencel devenu,
Au même lieu de nouveau se rencontre
Avec le bon Vieillard qui de la main lui montre
Des arbres de fruits tout chargés.
— « Jeune homme ! vos noyaux en arbres sont changés,
Dit-il, et le temps vous démontre
A quoi peuvent servir prévoyance et labeur ;
Le temps est un grand professeur. »

Que de projets répandus par la vie
Qui sont noyaux de cerisier !
Autrui va les cueillant semés par le sentier
Et, rejetés par nous, pour soi les fructifie.

Livre IV, fable 5


L’Orangerie, 14 Septembre 1£53.

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