UN père de famille assembla ses enfants,
Il les voyait tous avec joie.
Il fit apporter un jeu d'Oie,
Jeu créé chez un peuple où brillaient les savants.
« Je veux, dit-il , faire votre partie :
Tirons : des rangs le sort décidera ;
Pierre, Benoît, le Père, Auguste et Rosalie
Roulent les dés. Benoît commencera,
Auguste est le second , et Pierre le troisième,
Rosalie ensuite jouera,
Le Père sera le cinquième.
Benoît chasse les dés battus dans un cornet,
En sa faveur il a la chance.
Cinq et quatre est le point qu'il fait,
Or il conçoit d'autant plus d'espérance,
Qu'il va du coup à cinq et trois.
S'il fait encor dix points, ah ! quelle joie !
Il arrive au jardin de l'oie.
Après avoir joué tour-à-tour une fois,
Benoît retire avec impatience ;
Mais un point trop fatal le conduit à la mort :
La loi le veut, il faut qu'il recommence,
Et de nouveau s'expose aux caprices du sort.
Auguste tire, on le ballotte :
Il supplante, il est supplanté
Par un autre que l'on dégote
Et qui bientôt lui-même est dégoté.
Le Père, dans le puits se noie,
Pierre en prison est arrêté ;
Auguste près du but se voyait avec joie,
Par lui Pierre est tiré de sa captivité ;
Dans la route qu'il fait pour gagner la partie,
Chacun envie un plus heureux destin ;
Mais le bonheur tardif enfin
Se déclare pour Rosalie.
Le Père alors leur dit : « Ecoutez mes enfants.
Ce jeu, du monde, est la parfaite image.
Les soucis, les revers et les chagrins cuisants
S'offriront sur votre passage.
La porte du jardin figure on ne peut mieux,
Celle de l'aveugle déesse,
Qui fait tout mouvoir sous les cieux.
A cette porte enchanteresse
On ne parvient pas aisément,
Il faut du tems et de la peine ,
Vous le verrez ! le plus souvent
C'est le hasard qui nous y mène. »

Pour braver du sort la rigueur,
Comme ce jeu considérons le monde :
Et quand sur nous l'orage gronde
Opposons-lui toujours la constance et l'honneur.

Livre IV, fable 25




Commentaires